Lors du Conseil national du l'UMP de samedi, le Premier ministre a qualifié le fameux amendement autorisant le recours aux tests ADN en matière de regroupement familial de "détail masquant l'essentiel du texte".
Une polémique est née quant à l'utilisation du terme "détail", lequel avait été employé par un certain JM Le Pen pour qualifier l'existence des chambres à gaz il y a tout juste 20 ans. Pour ma part, je ne me livrerai pas à une bataille terminologique. Je crois en effet que l'essentiel n'est pas là.
Le projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile a été amendé et adopté (conformément au principe de la navette législative) par le Sénat le 4 octobre 2007. Analysons le fond de la mesure en question.
Le projet de texte se présente comme suit :
« Le demandeur d'un visa pour un séjour de longue durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences peut, en cas d'inexistence de l'acte de l’état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci, qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du même code, demander que son identification par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Le consentement des personnes dont l'identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli. Une information appropriée quant à la portée et aux conséquences d'une telle mesure leur est délivrée.
En droit français, le principe du recours aux empreintes génétiques d'une personne a été posé par loi sur la bioéthique du 29 juillet 1994. Les cas dans lesquels l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques peut être recherchée sont les suivants : à des fins médicales, de recherche scientifique et d'établissement ou de contestation d'un lien de filiation après autorisation d'un juge.
En droit de la filiation, la preuve par le test ADN est le moyen le plus fiable pour connaître avec certitude la vérité concernant la filiation biologique d'un enfant. Mais il n'est pas le seul. Le juge privilégie ainsi conformément à la volonté du législateur la possession d'état.
Explications : en droit français, pour prouver un lien de filiation, trois moyens sont possibles : les titres (actes de reconnaissance de l'enfant : père d'un tel, mère d'un tel dans l'acte de naissance), la possession d'état, et l'expertise biologique (test ADN). La possession d'état est une notion centrale en droit de la filiation. Elle permet de tenir compte d'un lien affectif, solide et connu de l'entourage qui a pu se créer entre une personne et un enfant. Cette vérité sociologique atténue donc le principe selon lequel le lien de filiation doit reposer sur un lien biologique. Le lien social ou sociologique prime même, lorsqu'il existe, sur la vérité biologique. Tout comme le droit du sol prime sur le droit du sang. La portée symbolique de ces dispositions est forte. Elles constituent même l'un des socles de notre République.
Le très controversé amendement Mariani (du nom de son génie) prévoit ceci : en cas de carence de l'état civil du pays d'origine, ou en cas d'inexistence ou de doute sérieux de/sur l'authenticité de l'acte d'état civil, ou encore en cas d'absence de possession d'état établie, le demandeur d'asile (au titre du regroupement familial) peut demander une expertise biologique pour prouver un lien de filiation entre sa mère (ou supposée) et lui-même.
Quid de la situation d'une personne orpheline de sa mère ? Test ADN post-mortem ? Test ADN sur le seul parent survivant ? Pas de réponse dans la loi.
Sur le fond et après étude la disposition, on comprend bien que cette mesure ne va concerner que très peu de personnes. En effet, au regard des conditions fixées par le projet de loi, les possibilités sont effectivement minces.
A mon goût le scandale n'est donc pas dans la lettre de la loi. Il se trouve plutôt dans l'esprit de la loi. Une fois de plus, il s'agit de stigmatiser les immigrés (assimilés à d'éventuels fraudeurs), et caresser dans le sens du poil l'électorat frontiste à qui l'on doit bien ça ! Cela montre bien à cet égard la fragilité des valeurs communes que nous tirons des principes républicains.
On le voit donc bien, si comme le dit le Premier ministre il s'agit d'un détail, c'est véritablement un détail de trop !
Même C. Pasqua est choqué : "Le choix des tests ADN n'est pas acceptable (...) Cela rappelle de mauvais souvenirs, à nous gaullistes. On sait l'usage qu'ont fait les nazis de la génétique".