Par acte du 3 juin 2009, M. Arthur âgé a vendu sa maison à Monsieur Lancelot, tout en s’en réservant l’usufruit. Trois mois plus tard, il décide de partir et cède son droit d’usufruit à Madame Guenièvre. Celle-ci donne alors la maison à bail à Tristan pour trois ans.
En octobre, Tristan constate que le chauffe-eau de la maison est défectueux et en avertit son bailleur. Madame Guenièvre refuse cependant toute réparation au motif que c’est Monsieur Arthur qui lui a confiée la maison dans cet état. Pour son compte, Monsieur Arthur dit que les problèmes liés à cette maison ne le regardent plus. Fin octobre 2009, Tristan retrouve son chat mort par asphyxie.
Madame Guenièvre, ayant peur d’avoir des ennuis, informe M. Arthur et M. Lancelot que les zingueries sont vétustes et que les peintures (sans doute au plomb) des murs sont caillées. De plus, le système de climatisation installé par M. Arthur en 2006 pour chauffer la maison en hiver et la refroidir en été ne fonctionne plus. Elle souhaite que les deux hommes prennent en charge ces travaux.
Enfin, le 25 janvier 2010, Monsieur Arthur décède. Madame Guenièvre souhaite continuer à recevoir les loyers du bail conclu, car elle estime qu’elle dispose d’un droit d’usufruit sur la maison jusqu’à sa mort.
1. La question des réparations
Sur le droit de jouissance de l’usufruitier
D’après l’article 595 du Code civil, « l’usufruitier peut jouir par lui-même, donner à bail à un autre, même vendre ou céder son droit à titre gratuit ». En revanche, le quatrième alinéa du même Code vient préciser que cette liberté ne concerne que les baux classiques, à l’exclusion des baux ruraux et commerciaux : « l'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal. A défaut d'accord du nu-propriétaire, l'usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte ».
En l’espèce, l’usufruitière a donné la maison objet de l’usufruit à bail d’habitation à un étudiant. Il s’agit d’un bail classique au sens de l’article 595 du Code civil, lequel ne nécessite pas le consentement du nu-propriétaire pour sa ratification. Par conséquent, ce contrat ne peut être remis en cause (la sanction étant la nullité relative à la demande du nu-propriétaire).
Sur les rapports entre l’usufruitier et le nu-propriétaire
L’article 605 dispose que « l'usufruitier n'est tenu qu'aux réparations d'entretien. Les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire, à moins qu'elles n'aient été occasionnées par le défaut de réparations d'entretien, depuis l'ouverture de l'usufruit ; auquel cas l'usufruitier en est aussi tenu ».
L'article 606 vient définir ces deux catégories de réparation : « les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières. Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier. Toutes les autres réparations sont d'entretien ».
La jurisprudence est, en outre, venue préciser que « l’appréciation du caractère des réparations est une question de fait abandonnée à l’appréciation des tribunaux » (Civ. 2e, 7 déc. 1961). Il convient donc de se livrer à une étude au cas par cas :
- constitue une grosse réparation la réfection des zingueries affectant une partie importante de l’immeuble et nécessitant une dépense exceptionnelle (Civ. 1re, 2 fév. 1955) ;
- concernant la chaudière, les juges du fond ont en revanche écarté la qualification de grosse réparation (CA Pau, 27 avril 1994 ; CA Rennes, 8 mars 2007).
- il en va de même pour les systèmes de climatisation (Civ. 3e, 10 fév. 1999) et les peintures (CA Nancy, 20 mai 2008).
Cette obligation de l’usufruitier est sanctionnée car le nu-propriétaire peut le contraindre à effectuer les réparations d’entretien ; il peut aussi faire procéder lui-même aux travaux et exiger ensuite le remboursement auprès de l’usufruitier (Civ. 1re, 21 mars 1962).
Pourtant, l’usufruitier ne peut contraindre le nu-propriétaire à effectuer les grosses réparations (Civ. 1re, 28 oct. 2009 ; Civ. 3e, 28 nov. 2006). Il peut donc être contraint d’attendre la fin de l’usufruit pour être indemnisé.
En l’espèce, le chauffe-eau et le système de climatisation sont défaillants, tandis que les zingueries et les peintures sont vétustes. Selon la jurisprudence, le nu-propriétaire ne peut être tenu qu’au remplacement des zingueries car elles sont susceptibles de tomber sous le coup de la qualification de « grosse réparation ». Néanmoins, Mme Guenièvre ne dispose d’aucun moyen pour contraindre M. Lancelot à effectuer les travaux. Une telle indemnisation peut tout à fait n’intervenir qu’à la fin de l’usufruit.
Au contraire, les autres réparations à effectuer constituent des dépenses d’entretien à la charge de l’usufruitier, c’est-à-dire Mme Guenièvre, qui ne sera pas fondée à demander au nu-propriétaire de prendre en charges les frais y afférant. Mais plus encore, M. Lancelot pourra contraindre Mme Guenièvre à engager les dépenses nécessaires ou les engager lui-même pour en demander ensuite le remboursement.
Sur les rapports entre le preneur et l’usufruitier
L’usufruitier qui donne à bail un local d’habitation est tenu de toutes les obligations du bailleur, sans que les obligations de l’usufruitier ne soient opposables au preneur (Civ. 3e, 28 juin 2006).
Par ailleurs, les articles 1719 et 1720 disposent que le bailleur est tenu d’entretenir la chose en l’état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et que celui-ci doit, pendant toute la durée du bail, faire toutes les réparations devenues nécessaires.
Enfin, le décret pris en Conseil d’État du 26 août 1987 n°87-712 (pris en application de la loi du 23 décembre 1986 n°86-1290) est venu préciser la distinction entre les charges d’entretien locatives et celles reposant sur le bailleur : « sont des réparations locatives les travaux d'entretien courant et de menues réparations, y compris les remplacements d'éléments assimilables auxdites réparations, consécutifs à l'usage normal des locaux et équipements à usage privatif ».
En l’espèce, des réparations se sont avérées nécessaires sur le système de climatisation, la chaudière, les zingueries et les peintures au plomb. Le locataire n’est tenu qu’aux menus travaux d’entretien. Or, ces réparations, du fait de leur importance, ne semblent pas entrer dans la catégorie des réparations locatives. Il s’en suit que Mme Guenièvre sera tenue d’engager les dépenses nécessaires pour remettre les lieux en état, peu important ses rapports avec le nu-propriétaire. A défaut, elle s’expose à des poursuites judiciaires.
Enfin, l’inexécution de ses obligations contractuelles par Mme Guenièvre a causé un préjudice à Tristan car son chat est décédé. Or, ce préjudice est la conséquence d’une faute consistant en le refus du bailleur d’exécuter les réparations qui étaient à sa charge. Il s’en suit que sur le fondement de l’article 1147 du Code civil, Tristan sera fondé à demander des dommages et intérêts.
2. Extinction de l'usufruit et sort du bail
Sur la durée de l’usufruit
L’usufruit est nécessairement temporaire et s’éteint par la survenance d’un terme certain ou incertain (art. 617 C. civ.). Lorsqu’il est viager, l’usufruit s’éteint par le décès de l’usufruitier (en cas de cession, il convient de prendre en compte le décès du titulaire initial).
En l’espèce, Mme Guenièvre a acquis l’usufruit de M. Arthur sans que le terme ne soit précisé dans les faits. Il sera néanmoins présumé que l’usufruit a été consenti par M. Lancelot à titre viager. Or, M. Arthur est décédé le 25 avril 2010. Il s’ensuit que le terme est survenu et que l’usufruit consenti à Mme Guenièvre s’est éteint à cette date.
Sort du bail consenti à Tristan
L’article 595 al. 3 C. civ. dispose que « les baux de neuf ans ou au-dessous que l'usufruitier seul a passés ou renouvelés plus de trois ans avant l'expiration du bail courant s'il s'agit de biens ruraux, et plus de deux ans avant la même époque s'il s'agit de maisons, sont sans effet, à moins que leur exécution n'ait commencé avant la cessation de l'usufruit ». Il s’ensuit que les baux d’habitation inférieurs à neuf ans sont opposables au nu-propriétaire, sous réserves des particularités relatives aux renouvellements anticipés. Ce principe a fait l’objet d’une confirmation en jurisprudence (Soc. 16 janv. 1958, Bull. civ. IV, n°98).
En l’espèce, le contrat conclu par Mme Guenièvre et Tristan est un bail d’habitation valable trois ans. Il s’agit donc d’un bail classique dont la durée est inférieure à neuf ans. Par conséquent, celui-ci restera opposable jusqu’à son terme au propriétaire, malgré l’extinction de l’usufruit. Dès ce moment, les loyers devront être versés au propriétaire, puisque Mme Guenièvre n’a plus droit aux fruits civils générés par la chose.