Dans le cadre de la réduction
des dépenses publiques, le gouvernement (transparent depuis lundi) de J.-M. Ayrault a décidé d’ouvrir le chantier
de la réforme des prestations sociales et fiscales mises en œuvre dans notre
politique familiale.
La France est le pays d’Europe
qui, avec l’Irlande, a le taux de fécondité le plus élevé (2 enfants par femme,
un atout considérable dans le contexte de vieillissement de la population, les économistes diraient un "avantage comparatif" !). Si
l’on ne peut évidemment pas réduire ce dynamisme démographique à la seule politique
familiale hexagonale, notre modèle de soutien des familles apparait tout de
même utile et nécessaire. Prime de naissance, allocation logement, allocation de rentrée
scolaire, complément familial (liste exhaustive à l’article L 511-1 C. sécu.
Soc.), les prestations sont nombreuses, parfois coûteuses (mais la justice sociale a un prix : l’ensemble
représente 5 % du PIB), mais elles s’inscrivent dans une logique de solidarité,
qui en période de crise économique et de dislocation de la famille (les débats actuels sur le "mariage pour tous" montre le degré de privatisation des liens familiaux...), sont
précieuses notamment à l’endroit des ménages les plus modestes.
La refonte de notre politique
familiale doit donc être envisagée prudemment par le gouvernement. Parmi les mesures
envisagées, la plus emblématique concerne la réforme des allocations
familiales. Compensation financière versée à partir du deuxième enfant à charge
(art. L 521-1) et indépendamment des conditions de ressources de chaque
famille, les AF reposent sur le principe de l’universalité (un enfant = une
prestation). Fondées sur un système de redistribution horizontale (transfert des
ménages sans enfant aux ménages avec enfants), elles se démarquent de la
politique sociale traditionnelle (modèle Beveridgien),
laquelle s’inscrit dans une logique de solidarité verticale (des ménages les
plus aisés aux ménages les plus modestes). Aussi, la distribution des
allocations familiales poursuit deux objectifs : encourager la natalité (objectif
familial) et soutenir la parentalité (objectif social). Il s’agit de donner aux
familles les moyens d’assumer leur fonction éducative dont l’Etat providence
est le garant (ce que l’Etat minimal, version Hayek, exclut).
Techniquement, plusieurs pistes
de réforme des allocations familiales sont envisageables : revenir sur leur
progressivité (qui permet une augmentation du montant en fonction du nombre
d’enfants), les fiscaliser, les mettre sous condition de ressources et le cas
échéant supprimer les AF pour les ménages dont les revenus sont les plus
élevés.
Un récent rapport remis au Premier
ministre (Rapport Fragonard du 9 avril 2013) n’entend pas remettre en cause le
principe de l’universalité des allocations familiales mais préconise d’en
réduire le montant (par deux ou par trois) au-dessus d’un plafond fixé en
fonction du nombre d’enfants. Les familles les plus aisées seront donc mises à
contribution. La difficulté pour le gouvernement sera de retenir un seuil qui n’ait
pas pour effet de pénaliser les classes moyennes et qui, dans le même temps,
puisse permettre de faire des économies significatives.
Séduisante dans le contexte de
contraction budgétaire, l’idée de placer sous condition de ressources ces
allocations induit néanmoins un changement de paradigme, la
« verticalisation » de la politique familiale (système de solidarité
horizontale à un système de solidarité verticale) qui pourrait, à terme,
justifier et inspirer la réforme d’autres secteurs, comme celui de la santé, avec
les risques de désengagement étatique et de privatisation qui en découlent. Le gouvernement socialiste assume dès lors parfaitement son libéralisme (cf. les brillants travaux de JC Michéa et notamment son dernier ouvrage "Les mystères de la gauche"). Révolution
de notre modèle social à venir ?