mardi 28 décembre 2010

Requête devant la CEDH des "mariés de Bègles"

Le célèbre "mariage" de Bègles ayant été annulé, le couple a déposé un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme. L'affaire est pendante devant la juridiction strasbourgeoise.

La requête se présente comme suit :


CINQUIÈME SECTION
Requête no 40183/07
présentée par Stéphane CHAPIN et Bertrand CHARPENTIER
contre la France
introduite le 6 septembre 2007

EXPOSÉ DES FAITS
EN FAIT

Les requérants, MM. Stéphane Chapin et Bertrand Charpentier, sont des ressortissants français, nés respectivement en 1970 et 1973 et résidant à Plassac. Ils sont représentés devant la Cour par Me C. Mecary, avocat à Paris.

A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.
En mai 2004, les requérants déposèrent un dossier de demande de mariage auprès des services de l’état civil de la mairie de Bègles (Gironde).
Le 25 mai 2004, l’officier d’état civil de la mairie publia les bans du mariage.
Le 27 mai 2004, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux fit signifier une opposition aux futurs mariés ainsi qu’à l’ensemble des officiers d’état civil de la commune.
Le 5 juin 2004, malgré cette opposition, l’officier d’état civil de la mairie de Bègles célébra le mariage civil des requérants et le transcrivit sur les registres de l’état civil.
Par un acte du 22 juin 2004, le procureur de la République fit assigner les requérants devant le tribunal de grande instance de Bordeaux.
Par un jugement rendu le 27 juillet 2004, le tribunal annula le mariage en raison de l’identité de sexe des requérants et ordonna la transcription du jugement en marge des actes de naissance des intéressés et de l’acte de mariage. Les requérants interjetèrent appel.
Par un arrêt rendu le 19 avril 2005, la cour d’appel de Bordeaux confirma le jugement précédent. Elle constata notamment que la législation française permet à des personnes vivant ensemble de conclure entre elles de nombreuses conventions régissant leur vie commune, faisant l’objet de publicité et opposable aux tiers (notamment indivisions, copropriétés, sociétés) ou que ce soit par convention générale (Pacte civil de solidarité). Les personnes non mariées disposant du droit de fonder une famille, appelée naturelle, et du droit d’adopter, l’adoption par un parent seul étant autorisée, la cour d’appel en déduisit qu’il n’existe aucune discrimination dans le droit de fonder un couple, de vivre en couple, de même sexe ou de sexe différent, ni de fonder une famille librement choisie naturelle ou légitime, avec possibilité d’adoption.
La cour d’appel estima que « la spécificité, et non pas discrimination, provient de ce que la nature n’a rendu potentiellement féconds que les couples de sexe différent et que le législateur (cf. Discours préliminaire sur le projet de code civil) a désiré prendre en compte cette réalité biologique (...) ». Elle releva ensuite que « tous les couples de sexe différent, ainsi concernés par une éventualité de filiation commune, sont traités à égalité puisqu’ils ont libre choix et libre accès au mariage.
Certes, les couples de même sexe, et que la nature n’a pas créés potentiellement féconds, ne sont en conséquence pas concernés par cette institution. En cela leur traitement juridique est différent, parce que leur situation n’est pas analogue (...) ».
Enfin, la cour d’appel énuméra les conséquences prévisibles de l’infirmation éventuelle du jugement précédent, concernant en particulier plusieurs dispositions du code civil et qui aboutirait, sans préparation législative, à un « bouleversement des principes » régissant les règles de la filiation.
Les requérants se pourvurent en cassation. Dans leur mémoire ampliatif, ils invoquèrent les articles 8, 12 et 14 de la Convention et se fondèrent sur la jurisprudence pertinente de la Cour.
Par un arrêt rendu le 13 mars 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle releva notamment que « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme » et que « ce principe n’est contredit par aucune des dispositions de la Convention et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui n’a pas en France de force obligatoire».

B. Le droit interne pertinent

Le code civil :
Les dispositions pertinentes à l’époque des faits se lisaient comme suit :
Article 144 : « L’homme avant dix-huit ans révolus, la femme avant quinze ans révolus, ne peuvent contracter mariage. »


GRIEFS

Les requérants allèguent une atteinte injustifiée à leur droit au respect de la vie privée et familiale, qui inclut le droit pour chaque individu d’établir les détails de son identité d’être humain, et notamment le droit pour chacun, indépendamment de son sexe et de son orientation sexuelle, d’avoir libre choix et libre accès au mariage. Selon eux, les juridictions françaises ont méconnu l’obligation positive de chaque Etat membre de garantir à tous ses citoyens, homosexuels ou hétérosexuels, le droit au respect de leur vie privée. Les requérants soutiennent qu’en excluant les couples de même sexe de l’institution du mariage, et par conséquence en annulant leur acte de mariage, les juridictions françaises ont opéré une différence de traitement discriminatoire fondée sur l’orientation sexuelle en violation des articles 8 et 14 combinés de la Convention.

De plus, les requérants allèguent qu’en limitant le mariage aux personnes de sexe différent, et en annulant l’acte de mariage dressé le 5 juin 2004, les juridictions françaises ont porté atteinte de façon discriminatoire à leurs droits garantis par les articles 12 et 14 combinés de la Convention.


QUESTIONS AUX PARTIES

1. A la lumière de la jurisprudence de la Cour, peut-on considérer que les articles 14 et 12 combinés de la Convention sont applicables à la présente espèce ? Dans l’affirmative, les requérants ont-ils été victimes d’une discrimination fondée sur le « sexe » ou « toute autre situation » contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 12 ?

2. A la lumière de la jurisprudence de la Cour, les requérants ont-ils été victimes, dans l’exercice de leur droit à la vie privée et familiale garanti par la Convention, d’une discrimination fondée sur le « sexe » ou « toute autre situation » contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 ?

jeudi 16 décembre 2010

Droit de la famille. L'adoption. II. L'adoption simple

DISTINCTION avec l’AP =
1° l’AS ne rompt pas les liens avec la famille d’origine
2° l’AS est révocable

RAISON pour lesquelles le nb d’AS < AP (mais inversement en 1998) :
AS = parenté sociale puisqu’elle offre à l’adoptant tous les droits d’AP,
Revalorisation en 1996
Réduction de l’AP (conditions) + effets moins puissants (effets)

I. Les conditions de l’adoption simple

1. Conditions de fond

REGLE GENERALE = AS peut être prononcée quand l’AP l’est
MAIS, peut être aussi prononcée dans d’autres cas

a. Le renvoi aux conditions de l’adoption plénière
Les mêmes conditions sont requises : condition d’âge, durée du mariage, différence d’âge entre adoptant et adopté.

Existence d’un lien de parenté ou d’alliance n’est pas non plus un obstacle à l’AS sauf cas d’inceste absolu.

Enfant mineur doit appartenir à l’une des catégories d’enfants adoptables. Mêmes règles de consentement.

AS doit être conforme à l’intérêt de l’adopté, apprécié souverainement par le juge.

Prohibition de l’adoption consécutive à une convention de mère porteuse s’applique à l’AS (Civ 1ère, 29 juin 1994).


b. Règles particulières à l’adoption simple
INDIFFERENCE DE L’AGE DE L’ADOPTE, même s’il est majeur => différence fondamentale entre les 2 modalités de l’institution. S’il est majeur, l’adopté doit consentir seul son adoption

Deux difficultés tout de même :

1° cas du majeur protégé :
Civ 1ère, 8 octobre 2008 => hypothèse d’une jeune autiste dont le père voulait qu’elle soit adoptée par sa belle-mère. Le juge dit que qu’il s’agit d’un acte strictement personnel, c’est donc le majeur protégé qui doit décider.

2° cas de l’adoption simple par le partenaire des enfants nés par insémination artificielle de sa compagne :
Réponse affirmative donnée par une juridiction du fond (TGI Paris, 27 juin 2001), censurée par la Cour de cassation (Civ. 1ère, 20 février 2007). Raison : cette adoption entrainait le transfert des droits d’AP à l’adoptante seule et privant la mère biologique, qui entendait continuer à élever l’enfant, de ses propres droits, peu important le cst de cette dernière à élever l’enfant.

Mais jp remise en cause par la CEDH (CEDH, 20 janvier 2008, EB c/ France).

NB : adoption homosexuelle
Exclus des PMA, les couples de même sexe revendiquent un droit à l’adoption. Le droit français limite l’adoption conjugale aux couples mariés depuis au moins deux ans (art. 343 C. civ). Seule l’adoption demandée par un célibataire homosexuel est donc envisageable. Mais l’adoption individuelle homosexuelle pose de nombreuses difficultés.

Socialement d’abord, la parenté homosexuelle ne semble pas être totalement entrée dans les mœurs. Les experts sont par ailleurs partagés quant à ses effets sur l’équilibre de l’enfant.

Juridiquement ensuite, puisque le refus d’agrément pour une personne célibataire homosexuelle semble être la règle. Les autorités administratives se fondent sur l’intérêt de l’enfant .

Jusqu’en 2008, la Cour européenne des droits de l’homme considérait que si le refus d’agrément ne saurait être justifié par la seule orientation sexuelle, elle relevait que ce refus pouvait avoir pour but légitime de protéger l’intérêt de l’enfant, même non identifié .

En 2008, la CEDH a fait évoluer sa jurisprudence, en condamnant la France dans l’arrêt E.B , sur le fondement des articles 8 et 14 de la Convention. Il est intéressant de noter qu’elle ne protège pas le droit de fonder une famille sur le terrain du droit au respect de la vie familiale mais sur celui de la vie privée. Pourtant les rapports parents/enfant relèvent avant tout de la famille et non seulement des individus. Cette décision porte bien la marque d’un individualisme familial qui gagne de plus en plus de terrain.

Dans l’arrêt E.B., le juge européen reproche, à juste titre, à la France d’avoir rejeté la demande d’agrément en raison de l’orientation sexuelle de la requérante. Mais plus surprenant, la Cour ne tient pas compte des autres motifs invoqués par les autorités internes. En effet, l’absence d’intérêt de la partenaire de Mlle E.B pour l’enfant et pour le projet parental a justifié le refus d’agrément. La Cour, au contraire « occulte l’intérêt supérieur de l’enfant en minimisant artificiellement l’importance essentielle de l’environnement familial et donne l’apparence d’imposer une discrimination positive en faveur de tout demandeur homosexuel à l’agrément » (CEDH gde ch., 22 janvier 2008, E.B c/ France, note P. HENNION-JACQUET, D. 2008. n° 29, p. 2038). Sous peine d’une nouvelle condamnation, la France va semble t-il devoir modifier sa jurisprudence et faire droit aux demandes d’agrément des personnes homosexuelles. C'est chose faite dans TA Besancon, 10 novembre 2009 (agrément accordé à Mlle EB)


2. Conditions de forme

PROCEDURE IDENTIQUE que pour l’AP

QUELQUES PARTICULARITES tout de même :

- Il n’est pas nécessaire que le futur adopté ait été placé depuis 6 mois au foyer du futur adoptant, sauf si l’adoptant n’a pas déposé sa requête lui-même avant son décès.

- Le jugement n’est pas nécessairement transcrit sur les registres de l’E-C, seule mention de l’adoption en marge de l’acte de naissance de l’adopté suffit. Solution qui s’explique par le fait que l’adopté garde tous ses liens avec sa famille d’origine.


II. Les effets de l’adoption simple

1. Le maintien des liens avec la famille d’origine

Pas de rupture des liens avec les parents par le sang. Csq => l’AS ne fait PAS OBSTACLE A L’ETABLISSEMENT ULTERIEUR de la filiation réelle de l’enfant, laquelle n’exerce aucune influence sur l’adoption (369). Mais effets de parenté par le sang réduit.

EMPECHEMENTS A MARIAGE avec les membres de la F d’origine (364 al 2).

En ppe, garde le NOM DE F de sa famille d’origine, pas de modification des PRENOMS.

Conservation possible d’un DROIT DE VISITE, malgré la perte de l’AP.

Cas d’adoption de l’enfant du conjoint, celui-ci conserve l’exercice de l’AP, sous réserve d’une déclaration conjointe en vue d’exercice en commun (365 al 1)

OBLIGATION ALIMENTAIRE demeure en adopté et ses père et mère mais que dans le cas où l’adoptant ne peut fournir d’aliments à l’adopté (obligation alimentaire subsidiaire !).

MAINTIEN DES DROITS SUCCESSORAUX


2. La création d’une filiation avec la famille adoptive

a. Les rapports entre l’adopté et l’adoptant

LES RAPPORTS EXTRAPATRIMONIAUX :

L’adopté conserve son NOM d’origine, mais il y ajoute le nom de l’adoptant.
La loi du 18 juin 2003 a modifié la loi du 4 mars 2002 sur ce point puisqu’elle limite l’adjonction du nom de l’adoptant dans la limite d’un nom pour chacun d’eux (=> 3 ou 4 noms impossibles)
Choix qui appartient à l’adoptant, qui doit recueillir le cst de l’adopté âgé de plus de 13 ans. Si désaccord ou défaut de choix, le nom conféré à l’adopté résulte de l’adjonction du premier nom de l’adoptant au premier nom de l’adopté.
En cas d’adoption par deux époux, choix des 2 adoptants, si désaccord 1er nom du mari.

Empêchement à mariage = entre adoptant, et adopté et ses descendants ainsi qu’entre l’adoptant, l’adopté et le conjoint de l’adoptant
Seul l’empêchement en ligne directe ne peut être levé par une dispense.

C’est l’adoptant qui va exercer l’AUTORITE PARENTALE


LES RAPPORTS PATRIMONIAUX :

OBLIGATION ALIMENTAIRE subsidiaire

DROITS SUCCESSORAUX identiques à un enfant par le sang.
En cas de décès de l’adopté, ces biens sont partagés par moitié entre la famille par le sang et la famille de l’adoptant (368-1).


b. Les rapports entre l’adopté et la famille de l’adoptant

L’idée générale est que l’adopté n’entre pas dans la famille de l’adoptant.

Mais des empêchements à mariage (366).

!! L’adopté n’a PAS LA QUALITE D’HERITIER RESERVATAIRE à l’égard des ascendants de l’adopté.



III. La cessation de l’adoption simple

L’adoption simple n’est pas définitive : c’est une différence considérable avec l’adoption plénière.

1. La révocation de l’adoption simple
Pour des motifs graves, l’adoption peut être révoquée à la demande de l’adoptant ou celle de l’adopté

Révocabilité admise que de façon restrictive, ne peut être prononcée que par jugement, non par cst mutuel.

DEMANDE : par l’adoptant si l’adopté a plus de 15 ans

Si l’adopté est mineur, la révocation peut être demandée par les parents par le sang ou certains membres de la famille d’origine, et même, depuis la loi du 5 juillet 1996, par le MP.

MOTIFS GRAVES (370). Appréciation souveraine des juges du fond. Ex un comportement délictueux envers l’adoptant, indignité de l’adoptant dans l’exercice de l’autorité parentale.

Possible action poursuivie par les héritiers du demandeur.


2. La transformation de l’adoption simple en adoption plénière
Lorsqu’un enfant de moins de 15 ans a fait l’objet d’une adoption simple, celle-ci peut à la demande de l’adoptant être transformée en AP pendant la minorité de l’enfant et dans les 2 ans suivants sa majorité (loi 1996).

Bonne formule : l’AS permet de s’assurer de la bonne intégration de l’enfant à sa famille, avant de demander l’adoption plénière.










mercredi 15 décembre 2010

Droit de la famille : L'adoption. I - L'adoption plénière

L'adoption en général :

DEFINITION : rapport de filiation établi par deux personnes qui ne sont unies par aucun lien juridique.

FINALITE : créer sous l’autorité du juge une filiation fictive pour donner un foyer à un enfant qui n’en a pas ou n’en a plus.

EVOLUTION DE SON ROLE AU COURS DE L’HISTOIRE :

- Sous la Rome antique : servait à assurer la continuité du culte domestique

- Ignorée sous l’ancien droit français

- Restauration de l’adoption sous Napoléon mais institution particulière = réservée aux majeurs, l’adopté restait lié à sa famille par le sang mais l’adopté portait le nom de l’adoptant et il recueillait de ce dernier la succession.

- Loi du 19 juin 1923 = permet l’adoption des mineurs dans l’intérêt des orphelins de guerre (institution charitable).

- DL 29 juillet 1939 = création de la légitimation adoptive et possibilité pour le juge de prononcer la rupture des liens de l’adopté avec sa famille par le sang (possible palliatif à la stérilité des couples)

- Loi du 11 juillet 1966 = refonde globale de l’institution

Régime actuelle :

- Loi de 1966 : de nouvelles appellations (adoption plénière et adoption simple), l’adoption a quitté le champ contractuel pour le champ institutionnel, faculté pour les personnes ne vivant pas en couple d’adopter (« instrument de remodelage des familles » pour Carbonnier)

- Mais loi très vite inadaptée au contexte : nombre de candidats toujours croissant à l’adoption + développement de l’adoption internationale (80 % des enfants adoptés en France viennent de l’étranger)

- Loi du 5 juillet 1996 a modifié de nombreux articles

- Loi du 6 février 2001 a introduit dans le Code civil des règles de DIP

- Loi du 4 juillet 2005 : déclaration d’abandon facilitée + procédure d’agrément améliorée + création de l’Agence française de l’adoption

- Rapport Colombani du 19 mars 2008 :

o Il n’y a pas assez d’adoptions il faut donc les développer et notamment les adoptions internationales.

o Il n’y a pas suffisamment d’enfants adoptables, il faut améliorer les conditions d’adoption.

o Il faut créer une autorité centrale qui assure la bonne articulation avec les organismes d’adoption.

o Réforme de l’agrément (plus sélectif) = le rapport souligne qu’il y a plus d’agrément donné que d’adoption prononcée parce que les adoptions sont difficiles à obtenir, certains états considèrent que l’agrément français n’est pas suffisant.


L'adoption plénière en particulier :

Modèle de référence
Assimiler l’adopté à un enfant par le sang et rompt tout lien avec sa famille biologique
Presque autant d’AS que d’AP (du fait du phénomène des « couples adoptifs »)

Détournement de l’adoption = surtout conçue comme une consolation des couples stériles pour lesquels les techniques de PMA se sont révélées infructueuses.

Mais également permise aux célibataires

Formes de l’AP assouplies

Production d’effets radicaux


I. Les conditions de l’adoption plénière

Adoption = acte de volonté privé soumis au contrôle juridictionnel du TGI
Pas de droit en tant que tel d’adopter pour la CEDH (Fretté c/ France 2002)

1. Conditions de fond

« L’adoption est une fiction qui singe la nature » (Bonaparte) => objectif d’établir un lien qui ressemble à une filiation par le sang.

a. Conditions concernant l’adoptant

LE CONSENTEMENT DE L’ADOPTANT
Cst indispensable : pas d’adoption forcée
Expression d’un cst sain dans la requête par laquelle l’adoptant demande au tribunal de prononcer l’adoption

Mais possible adoption posthume :
353 al 3 = Si l'adoptant décède, après avoir régulièrement recueilli l'enfant en vue de son adoption, la requête peut être présentée en son nom par le conjoint survivant ou l'un des héritiers de l'adoptant.

Mais pas de csq sur la dévolution de la succession de l’adoptant (355)

L’ADOPTION CONJUGALE
Adoption peut être demandée par 2 époux et non 2 concubins (Justificatif : absence de protection juridique suffisante en cas de séparation des adoptants).

Jeunes couples favorisés + stabilité de leur union = 28 ans ou 2 ans de durée de mariage

343 = L'adoption peut être demandée par deux époux non séparés de corps, mariés depuis plus de deux ans ou âgés l'un et l'autre de plus de vingt-huit ans (conditions alternatives).

L’ADOPTION INDIVIDUELLE
Assez rare en pratique = préférence pour les couples d’adoptants

Rupture du lien traditionnel entre légitimité et mariage

Age minimum = 28 ans sauf si adoption de l’enfant de son conjoint

Cst du conjoint nécessaire si l’adoptant est marié

LA PRESENCE D’ENFANTS
Depuis loi 22 décembre 1976 = n’est plus un obstacle à l’adoption => l’idée selon laquelle l’adoption est un palliatif à la stérilité se trouve en net recul

Art. 353 = les juges doivent apprécier si l’adoption n’est pas de nature à compromettre la vie familiale


b. Conditions concernant l’adopté

ADOPTION D’UN ENFANT DECEDE
La loi de 1996 l’autorise (art. 353 al 4)

AGE DE L’ADOPTE
Loi de 1939 = 7 ans
Depuis la loi de 1966 = maximum 15 ans

2 dérogations (jusqu’à 20 ans) :
- Enfant recueilli avant l’âge de 15 ans et dont les conditions d’AP ont été rejetées
- Enfant qui a déjà fait l’objet d’une AS

LE CONSENTEMENT DE L’ADOPTE
Si enfant âgé de plus de 13 ans, il doit donner son cst par acte authentique

Le mineur doué de discernement doit pouvoir être entendu (loi de 1993), impossible de s’y opposer s’il le demande (loi du 5 mars 2007)

LA QUALITE D’ENFANT ADOPTABLE
346 = Nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n'est par deux époux.
Toutefois, une nouvelle adoption peut être prononcée soit après décès de l'adoptant, ou des deux adoptants, soit encore après décès de l'un des deux adoptants, si la demande est présentée par le nouveau conjoint du survivant d'entre eux.

Un enfant ne peut être adopté plénièrement par deux personnes à la fois sauf s’il s’agit de deux époux (assimilation de l’adoption à la filiation en mariage).

Mais nouvelle adoption possible en cas de décès de l’adoptant ou des deux adoptants

L’existence d’un lien de parenté entre adoptant ou adopté pas un obstacle à l’adoption = possible adoption de l’enfant de sa femme.

2 conditions (loi de 1966) :
- L’autre parent s’est vu retirer l’AP
- L’autre est décédé sans laisser d’ascendant au premier degré

LES CATEGORIES D’ENFANTS ADOPTABLES
Catégorie légalement définie => classification tripartite (347)
Peuvent être adoptés :
1° Les enfants pour lesquels les père et mère ou le conseil de famille ont valablement consenti à l'adoption ;
2° Les pupilles de l'Etat ;
3° Les enfants déclarés abandonnés dans les conditions prévues par l'article 350.

1° consentement des parents :
Les parents par le sang peuvent consentir à ce que leur enfant fasse l’objet d’une AP
Contradiction avec l’inaliénabilité du droit des personnes mais admise que si intérêt de l’enfant et contrôle judiciaire
Si enfant âgé de moins de 2 ans, les parents peuvent choisir d’organiser l’adoption en faveur de personnes nommément désignées ; si l’enfant est âgé de plus de 2 ans, ils expriment alors simplement la disponibilité de l’enfant
Consentement = acte grave => acte authentique sauf si enfant a été remis un service d’aide sociale à l’enfance, ce service peut recevoir le consentement
Faculté de repentir de 2 mois
Lorsque les parents ou le CF refusent de consentir à l’adoption, le tribunal peut passer outre = si désintérêt pour l’enfant au risque de compromettre sa santé ou sa moralité et si refus abusif

2° pupilles de l’Etat

3° enfants abandonnés
La loi de 1966 a instauré une procédure judiciaire à l’issue de laquelle est rendu un jugement déclarant les enfants abandonnés
350 = L'enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l'aide sociale à l'enfance, dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant l'année qui précède l'introduction de la demande en déclaration d'abandon, est déclaré abandonné par le tribunal de grande instance sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa. La demande en déclaration d'abandon est obligatoirement transmise par le particulier, l'établissement ou le service de l'aide sociale à l'enfance qui a recueilli l'enfant à l'expiration du délai d'un an dès lors que les parents se sont manifestement désintéressés de l'enfant.
Sont considérés comme s'étant manifestement désintéressés de leur enfant les parents qui n'ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires au maintien de liens affectifs.
La simple rétractation du consentement à l'adoption, la demande de nouvelles ou l'intention exprimée mais non suivie d'effet de reprendre l'enfant n'est pas une marque d'intérêt suffisante pour motiver de plein droit le rejet d'une demande en déclaration d'abandon. Ces démarches n'interrompent pas le délai figurant au premier alinéa. L'abandon n'est pas déclaré si, au cours du délai prévu au premier alinéa du présent article, un membre de la famille a demandé à assumer la charge de l'enfant et si cette demande est jugée conforme à l'intérêt de ce dernier. Lorsqu'il déclare l'enfant abandonné, le tribunal délègue par la même décision les droits d'autorité parentale sur l'enfant au service de l'aide sociale à l'enfance, à l'établissement ou au particulier qui a recueilli l'enfant ou à qui ce dernier a été confié.


c. Conditions concernant à la fois l’adoptant et l’adopté
DIFFERENCE D’AGE
344 = Les adoptants doivent avoir quinze ans de plus que les enfants qu'ils se proposent d'adopter. Si ces derniers sont les enfants de leur conjoint, la différence d'âge exigée n'est que de dix ans.

Toutefois, le tribunal peut, s'il y a de justes motifs, prononcer l'adoption lorsque la différence d'âge est inférieure à celles que prévoit l'alinéa précédent.

EXISTENCE D’UN LIEN ENTRE L’ADOPTANT ET L’ADOPTE
Existence de liens de parenté ou d’alliance entre l’adoptant et l’adopté n’est pas un obstacle à l’adoption.


2. Conditions de forme
La création d’un lien de filiation qui n’a pas de support biologique suppose l’examen attentif de la qualité des candidats à l’adoption, la vérification des conditions exigées par la loi et l’appréciation de l’intérêt de l’enfant. => procédure complexe, même si la loi de 1996 a simplifié le dispositif existant et réduit les délais

2 phases = phase préparatoire + phase judiciaire

a. La phase préparatoire
AGREMENT
Obtention nécessaire d’un agrément administratif par le président du conseil général et valable 5 ans

Enquête administratif effectuée dans un délai de 9 mois pour voir si les conditions d’accueil morales et matérielles peuvent permettre l’accueil de l’enfant

Refus de l’agrément doit être motivé, appel possible devant les juridictions administratives, nouvelle demande possible dans les 30 mois

Mais 353-1 al 2 = Si l'agrément a été refusé ou s'il n'a pas été délivré dans le délai légal, le tribunal peut prononcer l'adoption s'il estime que les requérants sont aptes à accueillir l'enfant et que celle-ci est conforme à son intérêt.

PLACEMENT
Pour que l’enfant soit adoptable, il faut que l’enfant soit placé, c’est-à-dire qu’il ait été remis officiellement soit par l’aide sociale à l’enfant soit par un organisme autorisée pour l’adoption aux personnes qui ont émis le souhait de l’adopter (sauf cas de l’enfant de plus de 2 ans)

Placement = pré-adoption, il met obstacle à une restitution de l’enfant à sa famille d’origine

Cas de l’accouchement sous X


b. La phase judiciaire
Adoption prononcée par le juge qui exerce un contrôle strict

REQUETE déposée au TGI après que le placement ait duré au moins 6 mois

INSTRUCTION de la demande (6 mois maximum) = intérêt de l’enfant, l’adoption ne va pas compromettre la vie familiale de l’adoptant si celui-ci a des descendants

JUGEMENT : adoption prononcée (pas de motivation) ou non (motivation)
Statue éventuellement sur le changement de prénom, de nom

Appel possible

350 dernier alinéa = La tierce opposition n'est recevable qu'en cas de dol, de fraude ou d'erreur sur l'identité de l'enfant.

Transcription du jugement dans les 15 jours de la date à laquelle le jugement est passé en force de chose jugée (acte de naissance pour l’adopté)


II. Les effets de l’adoption plénière

Effet majeur = substitution d’une filiation artificielle à une filiation de sang
Liens avec la famille d’origine rompus

1. L’assimilation de l’adopté à un enfant

a. Sur le plan extrapatrimonial
NOM
L’enfant prend le nom de l’adoptant

AUTORITE PARENTALE
Mêmes dispositions que pour enfant par le sang

NATIONALITE FRANÇAISE
Attribuer dans les mêmes conditions que l’enfant par filiation ou à sa naissance en France

b. Sur le plan patrimonial
OBLIGATION ALIMENTAIRE, DROITS SUCCESSORAUX, ET RESERVE
Mêmes conditions que l’enfant de sang


2. La rupture des liens avec la famille par le sang

a. Le principe
A compter du dépôt de la requête = rupture complète des liens de l’enfant adopté avec sa famille d’origine; nullité de l’acte de naissance originaire, perte des droit successoraux dans la famille d’origine…

+ Débat autour du droit de l’enfant à connaitre ses origines…

b. Les exceptions
LES LIMITES LEGALES
- Subsistance des empêchements à mariage
- Maintien de la filiation d’origine en cas d’adoption de l’enfant du conjoint => AP produit les effets d’une adoption pour les deux époux

LES TEMPERAMENTS JURISPRUDENTIELS
Maintien d’un droit de visite (notamment pour les grands-parents)
3. La durée de l’adoption plénière

1. L’irrévocabilité de l’adoption plénière
Adoption plénière définitive, pas de révocation possible
Seules de mesures d’assistance éducative ou de retrait d’AP sont possibles comme s’il s’agissait des parents d’origine

2. Les tempéraments au principe
En cas d’échec de l’AP, possible adoption mais simple seulement envisagée (360 al 2)

QPC sur le mariage entre personnes de même sexe

Pour rappel, sur le mariage entre couples de même sexe, le Conseil constititutionnel a été saisi par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette procédure permet à tout justiciable, lors d'un litige soulevé devant une juridiction de fond de contester une disposition législative, qu'il estime contraire au bloc de constitutionnalité. Si la question lui parvient, le juge constitutionnel effectue alors un contrôle a posteriori de la loi contestée.

La décision de la Cour de cassation se présente comme suit :


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu que les questions transmises sont ainsi rédigées :

1°/ "Les articles 144 et 75, dernier alinéa, du code civil sont-ils contraires, dans leur application, au préambule de la Constitution de 1946 et de 1958 en ce qu'ils limitent la liberté individuelle d'un citoyen français de contracter mariage avec une personne du même sexe ?"

2) "Les articles 144 et 75 du code civil sont-ils contraires, dans leur application, aux dispositions de l'article 66 de la Constitution de 1958 en ce qu'ils interdisent au juge judiciaire d'autoriser de contracter mariage entre personnes du même sexe ?"

Attendu que les dispositions contestées sont applicables au litige ;

Qu'elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

Et attendu que les questions posées font aujourd'hui l'objet d'un large débat dans la société, en raison, notamment, de l'évolution des moeurs et de la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe dans les législations de plusieurs pays étrangers ; que comme telles, elles présentent un caractère nouveau au sens que le Conseil constitutionnel donne à ce critère alternatif de saisine ;

Qu'il y a lieu, dès lors, de les renvoyer au Conseil constitutionnel ;

PAR CES MOTIFS :
RENVOIE au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille dix.

--------------------------------------------------------------------------------
Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Reims du 24 août 2010

mardi 14 décembre 2010

Révision des lois de bioéthique et GPA (I)

Des débats passionnants se profilent dans le cadre de la révision des lois de bioéthique. Une troisième série de textes (après celles de 1994 et de 2004) va en effet être discutée au Parlement à partir de février 2011.

A cette occasion, Le Monde publie un papier sur l'un des thèmes qui sera abordé, à savoir les conventions de mères porteuses. Le journal fait état de l'évolution des positions au sein de la gauche (PS et le "think tank" Terra Nova).
A cet égard, il est étonnant de constater que nombre de celles qui se réclament du féminisme (notamment Elisabeth Badinter et Caroline Fourest) sont signataires d'une contribution en faveur de la légalisation de la gestation pour autrui...

http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/12/14/meres-porteuses-le-ps-poursuit-le-debat_1452933_3224.html

lundi 13 décembre 2010

L'adultère admis comme cause de licenciement

CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE OBST c. ALLEMAGNE
(Requête no 425/03)

ARRÊT STRASBOURG - 23 septembre 2010
PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 425/03) dirigée contre la République fédérale d’Allemagne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Michael Heinz Obst (« le requérant »), a saisi la Cour le 2 janvier 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me Ulrike Muhr, avocate à Essen. Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme Almut Wittling-Vogel, Ministerialdirigentin au ministère fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue que le refus des juridictions du travail d’annuler son licenciement sans préavis par l’Eglise mormone a enfreint l’article 8 de la Convention.

4. Le 18 mars 2008, le président de la cinquième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

5. Tant le Gouvernement que le requérant ont déposé des observations écrites. Des observations ont également été reçues de la part de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (l’Eglise mormone), que le président avait autorisée à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement). Les parties ont répondu à ces commentaires (article 44 § 5 du règlement).

EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Genèse de l’affaire
6. Le requérant est né en 1959 et réside à Neu-Anspach.

7. Il grandit au sein de l’Eglise mormone qui bénéficie d’un statut de personne morale de droit public (öffentlich-rechtliche Körperschaft). En 1980, il se maria selon le rite mormon. Après avoir exercé différentes fonctions au sein de l’Eglise mormone, il fut employé, à partir du 1er octobre 1986, en tant que directeur pour l’Europe au département des relations publiques, avec un salaire mensuel de 10 047,85 marks allemands (environ 5 000 euros (EUR)).

8. Le paragraphe 10 de son contrat de travail daté du 25 septembre 1986 contenait la clause suivante :
Comportement sur le lieu de travail et à l’extérieur
« L’employé a connaissance des principes essentiels de l’Eglise. Il doit s’abstenir de communications ou de comportements aptes à nuire à la réputation de l’Eglise ou à mettre en question ces principes. Il s’engage en particulier à observer des principes moraux élevés.
Il s’engage à s’abstenir de fumer, de boire de l’alcool ou du café en grains ou de consommer des stupéfiants dans les locaux de l’Eglise et à proximité de ceux-ci, ainsi que lors des déplacements ou événements professionnels. En cas de manquement grave, l’employeur peut prononcer un licenciement sans préavis.
Des obligations accrues quant au comportement professionnel s’appliquent aux trois catégories de collaborateurs suivantes :
a) les cadres supérieurs (en particulier les dirigeants) ;
b) les collaborateurs qui, dans l’exercice de leurs tâches, entrent en contact avec des personnes extérieures à l’Eglise (...) ;
c) les collaborateurs qui donnent des cours religieux au sein du département de l’éducation.
Les employés appartenant à ces catégories doivent être membres de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. S’ils perdent leur qualité de membre pour une raison quelconque ou enfreignent de manière conséquente les principes de l’Eglise, un licenciement – sans préavis dans les cas graves – doit s’ensuivre. »

9. Au début du mois de décembre 1993, le requérant s’adressa à son directeur de conscience compétent, S., et lui demanda une aide pastorale. Au cours de la conversation, il lui confia que son mariage périclitait depuis des années et qu’il avait eu des rapports sexuels avec une autre femme. S. lui recommanda de s’adresser à N., président de zone et supérieur hiérarchique du requérant, précisant que, s’il ne le faisait pas, il se chargerait lui-même d’informer N. Le 21 décembre 1993, le requérant s’adressa à N. qui ne lui prodigua pas d’aide pastorale. Le 27 décembre 1993, N. prononça le licenciement sans préavis du requérant. Par la suite, l’intéressé fut excommunié dans le cadre d’une procédure disciplinaire interne.

B. Les décisions des juridictions du travail inférieures

10. Le 14 janvier 1994, le requérant saisit le tribunal du travail de Francfort-sur-le-Main. Par un jugement du 26 janvier 1995, celui-ci annula le licenciement au motif qu’il n’était pas conforme aux révélations du prophète et fondateur de l’Eglise mormone, Joseph Smith. Il précisa que l’exclusion d’un membre de l’Eglise n’était prévue que si l’intéressé ne se repentait pas, ce qui n’était pas le cas du requérant puisqu’il avait demandé une aide pastorale pour reconstruire son couple. Selon le tribunal, le licenciement constituait donc une sanction disproportionnée.

11. Le 5 mars 1996, la cour d’appel du travail du Land de Hesse rejeta l’appel formé par l’Eglise mormone. Elle considéra que, bien que la commission de l’adultère, regardée par les mormons comme le péché le plus abominable (« greulichste aller Sünden »), permît en principe à l’Eglise mormone de prononcer le licenciement de l’employé en cause, la prise d’une telle mesure à l’encontre du requérant était en l’espèce contraire aux bonnes mœurs. Observant que l’Eglise s’était fondée sur des informations relatives aux problèmes de couple que le requérant avait confiés à ses supérieurs pastoraux (Seelsorger) dans le but d’obtenir un soutien pastoral, elle considéra que ces informations étaient, d’un point de vue moral, soumises au secret pastoral (seelsorgerische Schweigepflicht). Dès lors, elle jugea que, à l’instar d’un prêtre ou d’un évêque catholique qui apprend au cours d’une confession qu’un crime a été commis et qui ne peut pas répéter l’information à d’autres personnes tant qu’elle n’a pas été divulguée en dehors de la sphère de la confession, les deux supérieurs du requérant n’étaient pas fondés à utiliser les propos du requérant à des fins relevant du droit du travail. Compte tenu de l’importance fondamentale de l’affaire, la cour d’appel autorisa le pourvoi en cassation.

C. L’arrêt de la Cour fédérale du travail

12. Le 24 avril 1997, la Cour fédérale du travail cassa l’arrêt de la cour d’appel et renvoya l’affaire devant celle-ci. Selon elle, le licenciement litigieux ne contrevenait pas aux bonnes mœurs et constituait bien un motif de résiliation aux termes de l’article 626 du code civil (paragraphe 25 ci-dessous), le requérant ayant par son comportement dérogé à ses obligations prévues au paragraphe 10 de son contrat de travail.
13. Se référant à l’arrêt de principe de la Cour constitutionnelle fédérale du 4 juin 1985 (paragraphe 26 ci-dessous), la Cour fédérale du travail rappela ensuite qu’en vertu du droit constitutionnel les principes moraux de l’Eglise mormone devaient être pris en compte lors de l’examen de la question de savoir s’il existait un motif important justifiant un licenciement tel que prévu à l’article 626 du code civil. Elle poursuivit comme suit : l’Eglise mormone, en tant que société religieuse au sens de l’article 137 § 3 de la Constitution de Weimar, disposait du droit garanti par la Loi fondamentale de régler ses affaires de manière autonome dans la limite de la loi applicable à tous (paragraphe 24 ci-dessous) ; lorsque des Eglises choisissaient d’exercer leur liberté contractuelle (Privatautonomie) pour embaucher des personnes, le droit du travail étatique trouvait à s’appliquer ; toutefois, l’applicabilité du droit du travail n’avait pas pour effet de soustraire les relations de travail du domaine des affaires propres des Eglises ; une Eglise pouvait dès lors, dans l’intérêt de sa propre crédibilité, imposer à ses employés d’observer les grands principes de ses enseignements dogmatiques et moraux et leur demander de ne pas enfreindre les obligations fondamentales applicables à chacun de ses membres. La Cour fédérale du travail considéra qu’en l’espèce l’Eglise mormone était donc fondée à demander au requérant de respecter la fidélité dans le couple.

14. Elle ajouta que, dans l’application des dispositions légales concernant la protection contre les licenciements, les juridictions du travail étaient liées par les prescriptions des Eglises à deux conditions : d’une part, ces prescriptions devaient tenir compte de celles établies par les Eglises constituées ; d’autre part, en appliquant ces prescriptions, les juridictions du travail ne devaient pas se mettre en contradiction avec les principes fondamentaux de l’ordre juridique, parmi lesquels figuraient l’interdiction générale de l’arbitraire et les notions de « bonnes mœurs » et d’« ordre public ». Il appartenait donc aux juridictions du travail d’assurer que les Eglises ne mettent pas leurs employés devant des exigences de loyauté inacceptables.

15. En l’espèce, la Cour fédérale du travail estima que les exigences de l’Eglise mormone concernant la fidélité dans le mariage n’étaient pas en contradiction avec les principes fondamentaux de l’ordre juridique. Elle releva que le mariage revêtait également une importance prééminente dans les Eglises constituées et dans les religions mondiales (notamment le catholicisme, le judaïsme et l’islam) et que cette conception avait été reprise par la Loi fondamentale dont l’article 6 conférait une protection particulière au mariage. Quant à l’adultère, l’ordre juridique continuait à le considérer comme un manquement grave, même s’il en allait autrement dans la pratique.

16. La Cour fédérale du travail ajouta que le licenciement n’était pas non plus contraire au principe de bonne foi (Treu und Glauben) dans les relations contractuelles. Le droit de l’Eglise mormone de licencier un employé découlait de l’article 2 § 1 de la Loi fondamentale et plus particulièrement de l’article 137 § 3 de la Constitution de Weimar. Néanmoins, le requérant pouvait se prévaloir du droit, découlant du même article, de déterminer lui-même quelles informations sur sa vie privée pouvaient être révélées. Il lui appartenait dès lors de décider de rendre ou non public son adultère et, si oui, dans quel but il le faisait. Certes, l’Eglise mormone ne pouvait fonder sa décision sur de telles informations que si celles-ci avaient été portées à sa connaissance par l’intéressé lui-même. D’après les faits établis par la cour d’appel, le requérant n’avait informé S. qu’en sa qualité de directeur de conscience. Or c’est par N. que l’Eglise mormone avait eu connaissance de l’adultère. Que la cour d’appel eût constaté que le requérant s’était adressé à N. avec une question d’ordre pastoral et que celui-ci se fût abstenu de fournir l’assistance demandée ne prouvait pas que le requérant eût contacté N. uniquement en sa qualité de directeur de conscience. L’Eglise mormone avait d’ailleurs contesté cette perspective en soulignant que, d’après ses propres vues, N. n’avait pas compétence pour agir comme directeur de conscience à l’égard du requérant. La Cour fédérale du travail estima que la conclusion de la cour d’appel, dans laquelle celle-ci avait jugé que la démarche du requérant n’avait pas perdu son caractère pastoral du seul fait que S. lui avait demandé de s’adresser à N., ne trouvait pas de fondement dans les faits établis et qu’elle était en contradiction avec la non-compétence de N. Le secret pastoral auquel était tenu celui-ci, et sur lequel la cour d’appel avait fondé son avis, n’avait donc pas lieu d’être. Par ailleurs, le requérant ayant précisé que l’Eglise mormone ne connaissait pas la confession, la référence de la cour d’appel à la pratique de la confession dans l’Eglise catholique était sans pertinence. De plus, le requérant n’avait pas explicitement signifié à N. qu’il ne s’adressait à lui qu’en sa qualité de directeur de conscience. Il avait sollicité S. et N. afin de résoudre son problème de couple, mais sans jamais indiquer qu’il voulait « se repentir de tout son cœur », comme le stipulait la section 42, versets 23 et 24, des écrits du prophète1, et revenir vers sa femme.

17. La Cour fédérale du travail observa en outre que le licenciement en cause était également nécessaire à la préservation de la crédibilité de l’Eglise mormone et que cette crédibilité s’était trouvée menacée étant donné les tâches assurées par le requérant en tant que directeur pour l’Europe au département des relations publiques. A ce titre, il lui incombait de promouvoir une compréhension vraie et positive de l’Eglise, de soutenir la mission de celle-ci et de former et motiver environ 170 collaborateurs chargés des relations publiques. L’enseignement de la fidélité absolue au conjoint et de la foi en l’Eglise comme principe fondamental essentiel devenait difficile si celui qui occupait une position exposée et prêchait ce principe au nom de l’Eglise mormone ne le respectait pas lui-même. Le fait que l’adultère n’avait pas encore été rendu public au moment des entretiens avec S. et N. ne changeait rien à ce constat. On ne pouvait en effet exiger de l’Eglise mormone qu’elle ne prononçât le licenciement qu’une fois la crédibilité perdue, d’autant qu’il était impossible de présumer du silence de l’épouse ou de la nouvelle partenaire.

18. Par ailleurs, la Cour fédérale du travail nota que l’Eglise mormone n’avait pas été tenue de formuler un avertissement dès lors qu’il s’agissait d’un manquement dont la gravité ne pouvait échapper au requérant du fait de sa longue carrière au sein de l’Eglise et que son employeur ne pouvait à l’évidence que désapprouver.

19. La Cour fédérale du travail conclut qu’elle était empêchée de connaître du fond de l’affaire au motif que les instances inférieures n’avaient pas correctement mis en balance les intérêts en jeu d’après les critères établis dans son arrêt. Elle ajouta que les parties au litige devaient en outre avoir la possibilité de présenter des observations quant à une requalification du licenciement sans préavis en un licenciement avec préavis.

D. La procédure après le renvoi de l’affaire

20. Le 26 janvier 1998, statuant sur renvoi, la cour d’appel appliqua le raisonnement de la Cour fédérale du travail quant à la qualification de l’adultère en un manquement grave (équivalant à une infraction grave commise par un employé d’un employeur séculier) et quant au caractère exposé des fonctions du requérant. Le préjudice en résultant pour l’intéressé ne s’opposait pas à un licenciement compte tenu de sa relative jeunesse au moment du licenciement (trente-quatre ans) et de son ancienneté dans l’emploi (sept ans). Ayant grandi au sein de l’Eglise mormone et y ayant exercé plusieurs fonctions, le requérant devait être conscient de la gravité de ses actes aux yeux de son employeur, d’autant qu’il n’était pas question d’un seul écart mais d’une relation extraconjugale durable. Pour ce qui concernait la nécessité d’un préavis, la cour d’appel estima que l’Eglise mormone avait à craindre une perte de crédibilité énorme si la personne qui représentait ses intérêts dans toute l’Europe ne respectait pas elle-même les prescriptions. L’Eglise n’était dès lors pas tenue de respecter la période de préavis ordinaire (trois mois) et de maintenir le requérant dans ses fonctions au-delà du 27 décembre 1993, date du licenciement.
21. Rappelant qu’elle n’avait à connaître du bien-fondé du licenciement qu’au regard du droit du travail, la cour d’appel du travail ne se prononça pas sur le caractère équitable de la procédure disciplinaire interne à l’Eglise mormone, qui ne concernait le requérant qu’en sa qualité de membre. Elle souligna en outre que ses conclusions ne devaient pas être comprises comme impliquant que l’adultère constituait en soi un motif justifiant le licenciement d’un employé d’une Eglise. La particularité de l’affaire résidait dans la gravité de l’adultère aux yeux de l’Eglise mormone ainsi que dans la position importante qu’y exerçait le requérant et qui avait pour conséquence de le soumettre à des obligations de loyauté accrues.

22. Le 16 décembre 1998, la Cour fédérale du travail rejeta la demande du requérant tendant à l’admission d’un pourvoi en cassation, au motif qu’il n’y avait pas de divergence avec sa jurisprudence.

23. Le 27 juin 2002, la Cour constitutionnelle fédérale n’admit pas le recours constitutionnel du requérant (n° 2 BvR 356/99) au motif qu’il n’avait pas de chance suffisante de succès. Selon elle, les décisions attaquées ne soulevaient pas de problèmes constitutionnels au regard de son arrêt du 4 juin 1985.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET COMMUNAUTAIRES PERTINENTS

A. La Loi fondamentale
24. L’article 140 de la Loi fondamentale dispose que les articles 136 à 139 et 141 (articles dits ecclésiastiques (Kirchenartikel)) de la Constitution de Weimar du 11 août 1919 font partie intégrante de la Loi fondamentale. L’article 137, dans sa partie pertinente en l’espèce, se lit ainsi :
Article 137
« 1. Il n’existe pas d’Eglise d’Etat.
2. La liberté de former des sociétés religieuses est garantie (...)
3. Chaque société religieuse règle et administre ses affaires de façon autonome, dans les limites de la loi applicable à tous (...) »
B. Les dispositions concernant le licenciement

25. L’article 626 du code civil prévoit que chacune des parties au contrat peut, sans préavis, dénoncer la relation de travail pour des motifs importants si des circonstances de fait s’opposent à son maintien jusqu’à l’expiration du délai normal de préavis ou jusqu’à la fin prévue du contrat et en tenant compte de toutes les circonstances du cas considéré et des intérêts des parties. Le deuxième paragraphe de cet article fixe un délai de deux semaines à partir du moment où l’employeur a connaissance des faits constituant à ses yeux pareils motifs.
L’article 1 §§ 1 et 2 de la loi sur la protection contre les licenciements (Kündigungsschutzgesetz) dispose notamment qu’un licenciement est socialement injustifié à moins d’être motivé par des raisons liées à l’employé lui-même ou à son comportement.

C. L’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 4 juin 1985
26. Le 4 juin 1985, la Cour constitutionnelle fédérale a rendu un arrêt de principe portant sur la validité des licenciements prononcés par des Eglises à l’encontre de leurs employés à la suite d’une violation par ceux-ci de leurs obligations de loyauté (nos 2 BvR 1703/83, 1718/83 et 856/84, arrêt publié dans le Recueil des arrêts et décisions de la Cour constitutionnelle fédérale, tome 70, pp. 138-173). L’objet des recours constitutionnels en cause était, d’une part le licenciement d’un médecin exerçant dans un hôpital catholique pour ses prises de position au sujet de l’avortement et, d’autre part, celui de l’employé commercial d’un foyer pour jeunes tenu par un ordre monastique catholique en raison de son retrait de l’Eglise catholique. Après que les juridictions du travail eurent donné raison aux deux personnes licenciées, les Eglises avaient saisi la Cour constitutionnelle fédérale. Celle-ci avait accueilli leurs recours.
La haute juridiction a rappelé que le droit des sociétés religieuses de régler leurs affaires de manière autonome dans la limite de la loi applicable à tous, consacré par l’article 137 § 3 de la Constitution de Weimar, s’appliquait non seulement aux Eglises mais aussi, indépendamment de sa forme légale, à toute institution affiliée à celles-ci et appelée à participer à leur mission. Faisait partie de cette garantie constitutionnelle le droit des Eglises de choisir le personnel nécessaire à l’accomplissement de leur mission et, partant, de conclure des contrats de travail. Lorsque les Eglises choisissaient d’exercer comme tout le monde leur liberté contractuelle, alors le droit du travail étatique trouvait à s’appliquer. Toutefois, l’applicabilité du droit du travail n’avait pas pour effet de soustraire les relations de travail du domaine des affaires propres de l’Eglise. La garantie constitutionnelle d’autonomie (Selbstbestimmungsrecht) des Eglises influait sur le contenu des contrats de travail. Ainsi, une Eglise pouvait, dans l’intérêt de sa propre crédibilité, fonder ses contrats de travail sur le modèle d’une communauté de service chrétienne et, partant, exiger de ses employés le respect des grands principes de ses enseignements dogmatiques et moraux et des obligations fondamentales applicables à tout membre de l’Eglise. Cela ne voulait pas dire pour autant que le statut juridique d’un employé d’une Eglise était « cléricalisé ». Etaient en question uniquement la nature et l’étendue des obligations de loyauté découlant des contrats de travail. La relation de travail fondée sur le droit civil ne se transformait pas en un statut ecclésial qui s’emparait de l’employé et englobait la totalité de sa vie privée.
La Cour constitutionnelle fédérale a également précisé que la liberté des Eglises de régler leurs propres affaires s’exerçait dans les limites des lois applicables à tous, y compris les dispositions conférant une protection contre des licenciements non justifiés telles que l’article 1 de la loi sur la protection contre les licenciements et l’article 626 du code civil. Toutefois, ces dispositions ne l’emportaient pas automatiquement sur les articles dits ecclésiastiques de la Constitution de Weimar. Il y avait dès lors lieu de mettre en balance les droits divergents tout en accordant un poids particulier à l’interprétation par les Eglises de leurs propres foi et ordre juridique. La Cour constitutionnelle fédérale a poursuivi en ces termes :
« Il s’ensuit que, si la garantie constitutionnelle du droit des Eglises de régler et d’administrer leurs affaires de manière autonome leur permet de fonder leurs contrats de travail sur le modèle d’une communauté de service chrétienne et de stipuler des obligations ecclésiastiques de base, cette garantie doit être prise en considération en vertu du droit constitutionnel et que son étendue doit être précisée lorsqu’il s’agit d’appliquer les dispositions portant sur la protection contre des licenciements à des licenciements pour violation des obligations de loyauté. Une application du droit du travail qui ne tiendrait pas compte des obligations des employés ecclésiaux de respecter les principes fondamentaux de la vie chrétienne que les Eglises sont en droit d’imposer méconnaîtrait le droit constitutionnel d’autonomie des Eglises.
Par conséquent, en cas de litige, les juridictions du travail doivent appliquer les critères fixés par les Eglises concernant l’appréciation des obligations de loyauté contractuelles dans la mesure où la Constitution reconnaît aux Eglises le droit d’en décider de manière autonome. Il appartient donc par principe aux Eglises constituées (verfasste Kirchen) de déterminer ce qu’exige « la crédibilité de l’Eglise et sa proclamation », ce que sont « des tâches ecclésiales spécifiques », ce que signifie « proximité » avec l’Eglise, ce que sont « les principes fondamentaux des prescriptions religieuses et morales » et ce qui doit être considéré comme un manquement – un manquement grave, le cas échéant – à ses prescriptions. Fait également partie des affaires régies par le droit d’autonomie des Eglises la question de savoir si et comment un système d’échelonnement des obligations de loyauté doit s’appliquer aux collaborateurs travaillant au service ecclésial.
Dans la mesure où ces prescriptions correspondent aux critères établis par les Eglises constituées, ce qui doit en cas de doute faire l’objet d’une question du juge aux autorités ecclésiastiques, les juridictions du travail sont liées par ces prescriptions à moins qu’en les appliquant elles ne se mettent en contradiction avec les principes fondamentaux de l’ordre juridique, tels l’interdiction générale de l’arbitraire et le principe des bonnes mœurs et de l’ordre public. Il appartient dès lors aux juridictions étatiques d’assurer que les institutions ecclésiastiques n’imposent pas à leurs employés des exigences de loyauté inacceptables, susceptibles, le cas échéant, d’être contraires aux principes mêmes de l’Eglise (...)
Si les juridictions parviennent à la conclusion qu’il y a eu violation de ces obligations de loyauté, elles doivent examiner la question de savoir si cette violation justifie objectivement un licenciement en vertu de l’article 1 de la loi sur la protection contre les licenciements et de l’article 626 du code civil (...) »

D. La directive 78/2000/CE du 27 novembre 2000

27. La directive 78/2000/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail expose :
Considérant (24)
« L’Union européenne a reconnu explicitement dans sa déclaration no 11 relative au statut des Églises et des organisations non confessionnelles, annexé à l’acte final du traité d’Amsterdam, qu’elle respecte et ne préjuge pas le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Églises et les associations ou communautés religieuses dans les Etats membres et qu’elle respecte également le statut des organisations philosophiques et non-confessionnelles. Dans cette perspective, les Etats membres peuvent maintenir ou prévoir des dispositions spécifiques sur les exigences professionnelles essentielles, légitimes et justifiées susceptibles d’être requises pour y exercer une activité professionnelle. »
Article 4
Exigences professionnelles
« 1. (...) Les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur [la religion ou les convictions] ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée.
2. Les États membres peuvent maintenir dans leur législation nationale en vigueur (...) ou prévoir dans une législation future reprenant des pratiques nationales existant à la date d’adoption de la présente directive des dispositions en vertu desquelles, dans le cas des activités professionnelles d’églises et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, une différence de traitement fondée sur la religion ou les convictions d’une personne ne constitue pas une discrimination lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisation. (...)
Pourvu que ses dispositions soient par ailleurs respectées, la présente directive est donc sans préjudice du droit des églises et des autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, agissant en conformité avec les dispositions constitutionnelles et législatives nationales, de requérir des personnes travaillant pour elles une attitude de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’organisation. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

28. Le requérant allègue que son adultère ne justifiait pas son licenciement sans préavis et se plaint de la confirmation dudit licenciement par les juridictions du travail et la Cour constitutionnelle fédérale. Il invoque l’article 8 de la Convention dont la partie pertinente en l’espèce est ainsi libellée :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...)
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection des droits et libertés d’autrui. »

29. Le Gouvernement combat cette thèse.

A. Sur la recevabilité

30. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Les observations des parties
a) Le requérant
31. Le requérant soutient que les juridictions du travail se sont livrées à une appréciation et une mise en balance insuffisantes des intérêts en jeu. Ce procédé s’inscrirait dans un automatisme jurisprudentiel en la matière en faveur des Eglises, qui bénéficient selon l’intéressé d’un statut privilégié en droit allemand dont aucune autre association de bienfaisance ne jouirait. Ses droits au respect de sa vie privée ou de sa sphère intime n’auraient pas été examinés par le juge du travail. Or, selon le requérant, l’article 8 de la Convention lui confère le droit d’abandonner un modèle de vie et d’en commencer un nouveau. L’intéressé soutient que, s’il ne met pas en cause le droit des Eglises de régler leurs affaires de manière autonome, ce droit ne peut aller jusqu’à forcer leurs employés à respecter des préceptes au-delà de la sphère professionnelle. Il affirme que les juridictions du travail ont élargi leur jurisprudence de manière totalement imprévisible, un licenciement ne pouvant jusqu’à présent, selon lui, être prononcé qu’en cas de remariage, et non en raison d’une relation intime extraconjugale. Compte tenu du nombre de prescriptions ecclésiastiques, il y aurait un manque de prévisibilité à cet égard et le licenciement dépendrait en fin du compte des seules vues de chacun des directeurs des ressources humaines. Le rôle du juge du travail se limiterait ainsi à exécuter la volonté de l’employeur ecclésiastique. D’après le requérant, la conséquence de cette tendance est que l’employeur et le juge du travail sont appelés à s’immiscer de plus en plus dans la vie privée des employés pour établir et apprécier les faits servant de base au licenciement. Par ailleurs, le fait que l’un ou l’autre employé échoue à respecter à la lettre certaines prescriptions ecclésiastiques n’ébranlerait pas la crédibilité d’une Eglise, mais ne serait que la manifestation de la condition humaine de l’individu en question.

32. En outre, le requérant souligne qu’il n’a pas renoncé à sa sphère privée en signant le contrat de travail avec l’Eglise mormone. Faisant valoir l’autorité dont serait investi tout employeur lors d’une embauche, il ajoute que de toute manière il n’était pas en mesure de faire enlever le paragraphe 10 du contrat, qui n’était qu’une clause standard. De plus, il affirme qu’au moment de la signature du contrat, en 1986, il était dans l’incapacité de prévoir qu’il se séparerait un jour de sa femme. D’après le requérant, l’adultère n’est pas le crime le plus abominable après le meurtre car d’autres versets du livre mormon mentionneraient la possibilité de repentance et de pardon. Son supérieur S. l’aurait par ailleurs forcé à révéler à N. sa relation extraconjugale. Quoi qu’il en soit, il n’aurait pas été soumis à des obligations de loyauté accrues, vu son statut de simple collaborateur chargé seulement d’assister le président du district qui, lui, aurait représenté l’Eglise mormone à l’extérieur.

33. Le requérant soutient enfin que l’arrêt de principe de la Cour constitutionnelle fédérale de 1985 ne concerne pas sa sphère privée, que la marge d’appréciation invoquée par le Gouvernement n’existe pas car le public en Allemagne serait de moins en moins sensible aux affaires de remariage et que la directive européenne no 78/2000/CE ne traite que de la question de l’embauche et non pas de celle du licenciement au bout de longues années de service.

b) Le Gouvernement
34. Le Gouvernement soutient que l’Eglise mormone, en dépit de son statut de personne morale de droit public, ne fait pas partie de la puissance publique. Il n’y aurait donc eu aucune ingérence de la part des pouvoirs publics dans les droits du requérant. Le Gouvernement estime dès lors que le manquement allégué des juridictions du travail pourrait être examiné uniquement sous l’angle des obligations positives de l’Etat. Or, compte tenu de l’absence d’une pratique commune à tous les Etats membres, la marge d’appréciation serait ample, d’autant qu’il s’agirait ici d’une matière qui touche aux sentiments, traditions et domaine religieux. Le Gouvernement rappelle que la Commission européenne des droit de l’homme a par ailleurs confirmé les considérants de la Cour constitutionnelle fédérale, établis dans son arrêt du 4 juin 1985, auxquels la Cour fédérale du travail s’est référée en l’occurrence (Rommelfänger c. Allemagne, no 12242/86, décision de la Commission du 6 septembre 1989, Décisions et rapports 62, 151).

35. Le Gouvernement expose ensuite que les juridictions du travail, appelées à trancher un litige entre deux personnes investies de droits, devaient mettre en balance l’intérêt du requérant avec le droit de l’Eglise mormone à régler ses affaires de manière autonome en vertu de l’article 137 de la Constitution de Weimar. Selon lui, le juge du travail, en appliquant les dispositions légales relatives au licenciement, était tenu de prendre en compte les principes définis par l’Eglise mormone car, en vertu de leur droit d’autonomie, il appartenait aux Eglises et communautés religieuses elles-mêmes de définir les obligations de loyauté que leurs employés devaient respecter afin de sauvegarder la crédibilité desdites Eglises et communautés. Le Gouvernement rappelle que, cela étant, la prise en considération des préceptes ecclésiastiques n’est pas sans limite et que le juge étatique ne peut appliquer un précepte qui va à l’encontre des principes généraux de l’ordre juridique. Autrement dit, selon lui, si les employeurs ecclésiastiques peuvent certes prescrire des obligations de loyauté à leurs employés, il ne leur revient pas de déterminer quels sont les motifs de licenciement, ce qui relève de l’interprétation par le juge des dispositions législatives concernant la protection contre les licenciements.

36. La Cour fédérale du travail et, par la suite, la cour d’appel du travail auraient appliqué ces principes à la présente espèce et dûment pesé les intérêts en jeu, à savoir la nature du poste qu’occupait le requérant (formation de 170 collaborateurs), la gravité du manquement d’après la perception de l’Eglise mormone (adultère répété), l’âge du requérant (34 ans) et son ancienneté dans l’emploi (sept ans). Le Gouvernement ajoute que, si un licenciement constitue effectivement la sanction la plus dure à prononcer (ultima ratio) en droit du travail allemand, une mesure moins grave, telle qu’un avertissement, n’était pas indiquée en l’espèce car, selon lui, le requérant ne pouvait pas douter que son employeur ne tolérerait pas son comportement. Il rappelle que le requérant a signé de son plein gré le contrat de travail avec l’Eglise mormone, ce contrat qui prévoyait des obligations de loyauté accrues pour certains des postes occupés. Le requérant aurait ainsi consenti à la limitation de ses droits, ce qui est possible au regard de la Convention (Rommelfänger, décision précitée). Ayant grandi au sein de l’Eglise mormone, il aurait été conscient de l’importance fondamentale que la fidélité des époux revêtait au sein de celle-ci et des conséquences que son adultère pouvait entraîner. Enfin, le Gouvernement mentionne que le fait que les obligations de loyauté pouvaient avoir des conséquences sur la vie privée de l’employé était caractéristique des contrats conclus entre des employeurs ecclésiastiques et leurs collaborateurs.

c) La tierce partie intervenante
37. L’Eglise mormone souscrit pour l’essentiel aux conclusions du Gouvernement, tout en soulignant qu’un constat de violation de la Convention s’analyse, selon elle, en une grave ingérence qui aurait des conséquences pour les relations de travail de toutes les communautés religieuses dans toute l’Europe. Or l’existence autonome de ces communautés serait indispensable au maintien du pluralisme religieux dans une société démocratique. C’est aux Eglises qu’il incomberait de déterminer la façon dont elles s’organisent et de décider de l’importance que des préceptes revêtent pour elles et leurs membres. Ces préceptes devraient être respectés par les autorités étatiques séculières comme faisant partie de l’identité de l’Eglise, même dans le cas où des standards plus laxistes pourraient être appliqués au regard de la loi et des convictions séculières.

38. L’Eglise mormone ajoute que ses exigences quant au comportement de ses fidèles sont certes élevées. L’interdiction de l’adultère ne serait pas seulement une règle parmi d’autres, mais serait l’un des commandements les plus importants et se placerait au cœur de ses prescriptions religieuses. Un vrai repentir commanderait à l’intéressé d’avouer ses actes, d’avoir l’intention de rétablir la situation antérieure, de mettre fin à l’adultère et d’assumer les conséquences de son péché telles qu’elles sont par exemple prévues dans un contrat de travail.

2. L’appréciation de la Cour

39. La Cour rappelle que la notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive. Cette notion recouvre l’intégrité physique et morale de la personne et englobe parfois des aspects de l’identité physique et sociale d’un individu, dont le droit de nouer et de développer des relations avec ses semblables, le droit au « développement personnel » ou le droit à l’autodétermination en tant que tel. La Cour rappelle également que des éléments tels que, par exemple, l’identité sexuelle, le nom, l’orientation sexuelle et la vie sexuelle relèvent de la sphère personnelle protégée par l’article 8 (E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 43, CEDH 2008-..., et Schlumpf c. Suisse, no 29002/06, § 100, 8 janvier 2009).

40. En l’espèce, la Cour observe d’abord que le requérant ne se plaint pas d’une action de l’Etat, mais d’un manquement de celui-ci à protéger sa sphère privée contre l’ingérence de son employeur. A ce propos, elle note d’emblée que l’Eglise mormone, en dépit de son statut de personne morale de droit public en droit allemand, n’exerce aucune prérogative de puissance publique (cf. Rommelfänger, décision précitée, Finska Församlingen i Stockholm et Teuvo Hautaniemi c. Suède, décision de la Commission du 11 avril 1996, no 24019/94, et Predota c. Autriche (déc.), no 28962/95, 18 janvier 2000).

41. La Cour rappelle ensuite que, si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie privée. Celles-ci peuvent nécessiter l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux. Si la frontière entre les obligations positives et négatives de l’Etat au regard de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise, les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu, l’Etat jouissant en toute hypothèse d’une marge d’appréciation (Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, §§ 75-76, CEDH 2007-IV, Rommelfänger, décision précitée ; voir aussi Fuentes Bobo c. Espagne, no 39293/98, § 38, 29 février 2000).

42. La Cour rappelle en outre que la marge d’appréciation reconnue à l’Etat est plus large lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe sur l’importance relative des intérêts en jeu ou sur les meilleurs moyens de les protéger. De façon générale, la marge est également ample lorsque l’Etat doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou différents droits protégés par la Convention (Evans, précité § 77).

43. La question principale qui se pose en l’espèce est donc de savoir si l’Etat était tenu, dans le cadre de ses obligations positives découlant de l’article 8, de reconnaître au requérant le droit au respect de sa vie privée contre la mesure de licenciement prononcée par l’Eglise mormone. Dès lors, c’est en examinant la mise en balance effectuée par les juridictions du travail allemandes de ce droit du requérant avec le droit de l’Eglise mormone découlant des articles 9 et 11 que la Cour devra apprécier si la protection offerte au requérant a atteint ou non un degré satisfaisant.

44. A cet égard, la Cour rappelle que les communautés religieuses existent traditionnellement et universellement sous la forme de structures organisées et que, lorsque l’organisation d’une telle communauté est en cause, l’article 9 doit s’interpréter à la lumière de l’article 11 de la Convention qui protège la vie associative contre toute ingérence injustifiée de l’Etat. En effet, leur autonomie, indispensable au pluralisme dans une société démocratique, se trouve au cœur même de la protection offerte par l’article 9. La Cour rappelle en outre que, sauf dans des cas très exceptionnels, le droit à la liberté de religion tel que l’entend la Convention exclut toute appréciation de la part de l’Etat sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles-ci (Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, §§ 62 et 78, CEDH 2000-XI). Enfin, lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l’Etat et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 108, CEDH 2005-XI).

45. La Cour relève d’abord qu’en mettant en place un système de juridictions du travail ainsi qu’une juridiction constitutionnelle compétente pour contrôler les décisions rendues par celles-ci, l’Allemagne a respecté ses obligations positives à l’égard des justiciables dans le domaine du droit du travail, domaine où les litiges touchent d’une manière générale les droits des intéressés découlant de l’article 8 de la Convention. Par conséquent, en l’espèce, le requérant a eu la possibilité de porter son affaire devant le juge du travail appelé à examiner la licéité du licenciement litigieux sous l’angle du droit du travail étatique en tenant compte du droit du travail ecclésiastique, et à mettre en balance les intérêts divergents du requérant et de l’Eglise employeur.

46. La Cour observe ensuite que la Cour fédérale du travail, dans son arrêt du 24 avril 1997, s’est amplement référée aux principes établis par la Cour constitutionnelle fédérale dans son arrêt du 4 juin 1985 (paragraphe 26 ci-dessus). La Cour fédérale du travail a notamment rappelé que, si l’applicabilité du droit du travail étatique n’avait pas pour effet de soustraire les relations de travail du domaine des affaires propres des Eglises, le juge du travail n’était lié par les principes fondamentaux des prescriptions religieuses et morales des employeurs ecclésiastiques qu’à la condition que ces prescriptions tiennent compte de celles établies par les Eglises constituées et qu’elles ne soient pas en contradiction avec les principes fondamentaux de l’ordre juridique.

47. En ce qui concerne l’application de ces critères au cas du requérant, la Cour note que la Cour fédérale du travail a estimé que les exigences de l’Eglise mormone concernant la fidélité dans le mariage n’étaient pas en contradiction avec les principes fondamentaux de l’ordre juridique, au motif que le mariage revêtait une importance prééminente aussi dans d’autres religions et dans la Loi fondamentale. La Cour fédérale du travail a souligné à cet égard que l’Eglise mormone n’avait pu fonder le licenciement sur l’adultère du requérant que parce que les informations touchant à l’adultère avaient été portées à sa connaissance par l’intéressé lui-même. Après avoir examiné les arguments des parties, elle a conclu que le requérant avait de son propre chef informé son employeur sur son comportement constitutif du licenciement et que, en particulier, ses allégations quant au caractère uniquement pastoral de ses entretiens avec S., puis avec N., ne trouvaient pas de fondement dans les faits établis et qu’elles étaient en contradiction avec l’absence de compétence pastorale de N.

48. La Cour note ensuite que, d’après la Cour fédérale du travail, le licenciement s’analysait en une mesure nécessaire visant à la préservation de la crédibilité de l’Eglise mormone, compte tenu notamment de la nature du poste que le requérant occupait et de l’importance que revêtait la fidélité absolue au conjoint au sein de l’Eglise. La Haute juridiction a également exposé pourquoi l’Eglise mormone n’avait pas été tenue de prononcer d’abord une sanction moins lourde, par exemple un avertissement. La Cour observe également que, selon la cour d’appel du travail, le préjudice du requérant résultant du licenciement était limité eu égard à son âge, à son ancienneté dans l’emploi et au fait que, ayant grandi et exercé plusieurs fonctions dans l’Eglise mormone, l’intéressé aurait dû être conscient de la gravité de ses actes aux yeux de son employeur, d’autant qu’il ne s’était pas agi d’un seul écart, mais d’une relation extraconjugale durable.

49. La Cour relève également que les juridictions du travail se sont penchées sur la question de savoir si le licenciement du requérant pouvait être fondé sur le contrat de travail conclu entre l’intéressé et l’Eglise mormone et s’il était conforme à l’article 626 du code civil. Elles ont pris en compte tous les éléments pertinents et ont procédé à une mise en balance circonstanciée et approfondie des intérêts en jeu. Le fait qu’elles ont reconnu à l’Eglise mormone le droit d’opposer à leurs employés des obligations de loyauté et qu’elles ont finalement accordé plus de poids aux intérêts de l’Eglise mormone qu’à ceux du requérant ne saurait en soi soulever un problème au regard de la Convention. A cet égard, la Cour observe que, selon la Cour fédérale du travail, le juge du travail n’était pas lié sans limite aux prescriptions des Eglises et communautés religieuses, mais qu’il devait veiller à ce que celles-ci n’imposent pas à leurs employés des obligations de loyauté inacceptables.

50. Aux yeux de la Cour, les conclusions des juridictions du travail, selon lesquelles le requérant n’avait pas été soumis à des obligations inacceptables, ne paraissent pas déraisonnables. La Cour estime en effet que l’intéressé, pour avoir grandi au sein de l’Eglise mormone, était ou devait être conscient, lors de la signature du contrat de travail et notamment du paragraphe 10 de celui-ci (portant sur l’observation « des principes moraux élevés ») de l’importance que revêtait la fidélité maritale pour son employeur (voir, mutatis mutandis, Ahtinen c. Finlande, no 48907/99, § 41, 23 septembre 2008) et de l’incompatibilité de la relation extraconjugale qu’il avait choisi d’établir avec les obligations de loyauté accrues qu’il avait contractées envers l’Eglise mormone en tant que directeur pour l’Europe au département des relations publiques.

51. La Cour considère que le fait que le licenciement a été fondé sur un comportement relevant de la sphère privée du requérant, et ce en l’absence de médiatisation de l’affaire ou de répercussions publiques importantes du comportement en question, ne saurait être décisif en l’espèce. Elle note que la nature particulière des exigences professionnelles imposées au requérant résulte du fait qu’elles ont été établies par un employeur dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions (voir, au paragraphe 27 ci-dessus, l’article 4 de la directive 78/2000/CE ; voir aussi Lombardi Vallauri c. Italie, no 39128/05, § 41, CEDH 2009-... (extraits)). A cet égard, elle estime que les juridictions du travail ont suffisamment démontré que les obligations de loyauté imposées au requérant étaient acceptables en ce qu’elles avaient pour but de préserver la crédibilité de l’Eglise mormone. Elle relève par ailleurs que la cour d’appel du travail a clairement indiqué que ses conclusions ne devaient pas être comprises comme impliquant que tout adultère constituait en soi un motif justifiant le licenciement [sans préavis] d’un employé d’une Eglise, mais qu’elle y était parvenue en raison de la gravité de l’adultère aux yeux de l’Eglise mormone et de la position importante que le requérant y occupait et qui le soumettait à des obligations de loyauté accrues.

52. En conclusion, eu égard à la marge d’appréciation de l’Etat en l’espèce (paragraphe 42 ci-dessus) et notamment au fait que les juridictions du travail devaient ménager un équilibre entre plusieurs intérêts privés, ces éléments suffisent à la Cour pour estimer qu’en l’espèce l’article 8 de la Convention n’imposait pas à l’Etat allemand d’offrir au requérant une protection supérieure.

53. Dès lors, il n’y a pas eu violation de cet article en l’espèce.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.