jeudi 29 septembre 2011

Selon que vous serez puissant ou misérable... Mise à prix de la justice : 35 €

LOI n°2011-900 du 29 juillet 2011 - art. 54 (V)

I.-Par dérogation aux articles 1089 A et 1089 B, une contribution pour l'aide juridique de 35 € est perçue par instance introduite en matière civile, commerciale, prud'homale, sociale ou rurale devant une juridiction judiciaire ou par instance introduite devant une juridiction administrative.

II. ― La contribution pour l'aide juridique est exigible lors de l'introduction de l'instance. Elle est due par la partie qui introduit une instance.

III. ― Toutefois, la contribution pour l'aide juridique n'est pas due :
1° Par les personnes bénéficiaires de l'aide juridictionnelle ;
2° Par l'Etat ;
3° Pour les procédures introduites devant la commission d'indemnisation des victimes d'infraction, devant le juge des enfants, le juge des libertés et de la détention et le juge des tutelles ;
4° Pour les procédures de traitement des situations de surendettement des particuliers et les procédures de redressement et de liquidation judiciaires ;
5° Pour les recours introduits devant une juridiction administrative à l'encontre de toute décision individuelle relative à l'entrée, au séjour et à l'éloignement d'un étranger sur le territoire français ainsi qu'au droit d'asile ;
6° Pour la procédure mentionnée à l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;
7° Pour la procédure mentionnée à l'article 515-9 du code civil ;
8° Pour la procédure mentionnée à l'article L. 34 du code électoral.

IV. ― Lorsqu'une même instance donne lieu à plusieurs procédures successives devant la même juridiction, la contribution n'est due qu'au titre de la première des procédures intentées.

V. ― Lorsque l'instance est introduite par un auxiliaire de justice, ce dernier acquitte pour le compte de son client la contribution par voie électronique.

Lorsque l'instance est introduite sans auxiliaire de justice, la partie acquitte cette contribution par voie de timbre mobile ou par voie électronique.

Les conséquences sur l'instance du défaut de paiement de la contribution pour l'aide juridique sont fixées par voie réglementaire.

VI. ― La contribution pour l'aide juridique est affectée au Conseil national des barreaux.

VII. ― Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent article, notamment ses conditions d'application aux instances introduites par les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

NOTA:

Loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 article 54 II : Le I est applicable aux instances introduites à compter du 1er octobre 2011.

Lien vers le décret n° 2011-1202 du 28 septembre 2011 qui précise les modalités d'application de cette nouvelle taxe : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000024602249&dateTexte=&categorieLien=id



Jean de la FONTAINE - Les Fables, Livre VII - Les animaux malades de la peste

Un mal qui répand la terreur,

Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

mercredi 28 septembre 2011

Quel avenir pour le droit des obligations ?

Conférence - B. Mallet-Bricout
Mai 2009... Les choses n'ont pas bougé depuis...
Université Jean Moulin Lyon 3



INTRODUCTION

1° réformer le Code, une idée ancienne
- Déjà en 1904, la doctrine s’est interrogée sur la réforme du Code, qui apparaissait bien incomplet et obsolète au regard de la réalité juridique de l’époque
- En 1804, on n’a pas forcément appréhendé les changements, évolution des mœurs…
- 100 ans après, le Code civil ne reflète plus la réalité => le livre du centenaire, qq modifications espérées (même mouvement qu’aujourd’hui)
- Encore plus au 21ème siècle…

- Illustrations :
• Théorie de l’abus de droit (1915, Clément Bayard)
• Elargissement de l’interprétation de l’art. 1384

- Mise en lumière de certaines incohérences dans le droit des obl., des biens et de la responsabilité

Situation du DO à l’aube du 21ème siècle ? => CC n’est plus qu’une base, ne suffit pour maîtriser l’ensemble du droit des obligations

2° le code, base (insuffisante) du droit des contrats
- Textes à l’extérieur du CC => fragmentation des règles applicables
- Absence de concordance entre le droit écrit dans le CC et le droit positif => décalage qui remet en cause la légitimité du Code et le choix de la France de fonder son droit des contrats sur un Code
- Perte totale de l’esprit napoléonien => n’est plus le code des citoyens, est devenu un Code de juristes

3° la récente décision du gouvernement de rénover le droit des obligations
- Décision récente de rénover le droit des obligations

- Une action réformatrice du Code clairement engagée depuis 2000 :
• Droit de la preuve (mars 2000)
• Droit des successions, autorité parentale, nom, divorce
• Filiation, libéralité, régimes matrimoniaux, suretés…
• Rien sur le droit des contrats, ni sur le droit de la responsabilité

- Une initiative présidentielle et gouvernementale en 2004
• Bicentenaire du Code civil, de nombreuses manifestations, colloque à la Sorbonne important au cours duquel J. Chirac a demandé aux juristes français de s’atteler à la réforme du DO

- Méthode législative particulière
• Mise en place d’un groupe d’universitaires sous la direction de P. Catala => avant-projet réforme du droit des obligations = 1ère base de discussion et de critiques
• Autre groupe universitaire sous la direction de F. Terré (académie des sciences morales et politiques), « Pour une réforme du droit des contrats » => rendu public en juillet 2008
• Le ministère de la justice a lancé sa propre étude à partir des 2 avant-projets concurrents + ouverture aux droits européens des contrats (Code Gondolfi) + travail mené sur le cadre commun de référence (la commission européenne a identifié a identifié un besoin européen dans le droit des contrats pour éliminer les obstacles à la libre circulation des biens et des services. Mise en place en 2003 d’un plan d’action. Objectif est d’améliorer l’acquis communautaire, principes communs dans le droit des contrats dégagés par un groupe pour créer un instrument optionnel pour les contractants européens. Plusieurs activités dont la réflexion autour du cadre commun de référence dans le domaine contractuel. Plusieurs volets prévus = définition et langage commun, principes fondamentaux. A terme rédaction de contrats type européens) + droit comparé
• 2 versions successives de la Chancellerie, en attendant la version définitive qui devrait arriver. La chancellerie négocie avec différents interlocuteurs et praticiens du droit (banque, magistrats, avocat, CCIP, notaires, MEDEF = grande influence)

- Pourquoi cette réforme prend-elle autant de temps ?
• lobbying efficace, secret pour éviter les fuites et les critiques des universitaires
• influence internationale => bonne réforme peut permettre d’influencer la réflexion menée sur le droit européen des contrats


OBJECTIFS DE LA REFORME

Réforme de la prescription a eu lieu
2ème : Contrat
3ème : Régime de l’obligation
4ème : Responsabilité

- rendre sa cohérence au code civil, améliorer l’accessibilité
• cohérence formelle : concernant le plan => réécriture du Titre III du livre 3 du Code civil : chapitre préliminaire (sources des obligations), 1er sous-titre intitulé le contrat divisé en 11 chapitres = définition, principes directeurs, formation (négociation, offre et acceptation, date et lieu de formation, avant-contrats), représentation, forme, validité (cst, capacité, obl contractuelles, intérêt, licéité, sanctions, restitutions), exécution, effets, interprétation et qualification, inexécution, contrat électronique = PLAN PEDAGOGIQUE ET NON DOGMATIQUE. = changement de place de la lésion (envisagée dans le contenu du contrat et non dans le consentement, apparition de subdivisions, de la représentation (et plus seulement le mandat), durée du contrat, phase précontractuelle, offre et acceptation. MAIS pas de chapitre sur la preuve, au régime des obl (traitée à part), rien de nouveau sur la responsabilité contractuelle.

• cohérence au fond : règles mises en œuvre par les juges
o cohérence-constat (codification stricte de certaines règles jurisprudentielles affirmées) : règles sur l’offre, obligation précontractuelle d’information (art. 50), exception d’inexécution, réticence dolosive
o cohérence-consolidation (jp controversées ou peu confirmées) : violence économique, dol incident, jp Chronopost (art. 87)
o cohérence-affirmations (contra-jurisprudence) : pacte de préférence (la sanction est la nullité seulement et non la substitution du bénéficiaire au tiers acquéreur, notion de mauvaise foi au détriment de la collusion frauduleuse), promesse unilatérale

- moderniser le droit des contrats = réfléchir à de nouvelles règles, améliorer la prévisibilité
• introduction de nouvelles notions : concepts connus (contrats-cadre, contrats interdépendants, cession de contrat…), concepts tirés du droit comparé (« contenu » du contrat), distinction entre obligation expresse et implicite
• substitution de l’intérêt à la cause : chaque partie doit avoir un intérêt au contrat qui justifie son engagement (85 et s.). Concept qui reste proche de la cause objective.
• Introduction de la notion de clause abusive dans le Code (incertain)
• Le prix « autonomisé » dans le Code = élément autonome, dispositions propres. Si prix abusif, possible saisine du juge
• La rupture unilatérale du contrat : un équilibre délicat => admission de la résolution unilatérale préventive du contrat : mise en demeure préalable, motivation, résolution aux risques et périls de celui qui l’exerce, possible contestation de l’autre (procédure de référé qui permet la suspension de la résolution, et ordonner l’exécution = le juge maintient une main sur le contrat, à défaut d’en avoir une sur le contenu)

- mettre en exergue les « valeurs contractuelles » françaises, mettre en valeur l’attractivité de notre droit des contrats
• nouveauté déjà contestée
• 3 principes directeurs (on parlerait plutôt de « dispositions générales ») : liberté contractuelle (« chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter », liberté de choisir son cocontractant, liberté de déterminer le contenu et la forme du contrat sous réserve de l’OP et des bonnes mœurs MAIS discrimination, droit de préemption, droit de la concurrence etc, … sont des atténuations importantes), sécurité contractuelle (force exécutoire du contrat, prohibition de toute révocation ou toute modification unilatérale du contrat, exiger l’exécution forcée de l’obl (devient le principe et non plus l’exception), si le promettant se rétracte pendant le délai de réflexion, cela n’empêche pas la formation forcée du contrat) bonne foi (instrument de pouvoir donné au juge ?). Le principe de cohérence n’a pas été retenu mais art 153 fait référence directement référence à cette obligation (interprétation cohérente des clauses les unes par rapport aux autres)
• Valeur juridique ? « élévation au rang de principes directeurs » = quelle signification ? principes généraux à la disposition du juge ?
• Attachement aux racines, volonté de conserver sa spécificité => à replacer dans le contexte de concurrence forte entre les systèmes juridiques
• Inspiration directe : Principes Unidroit

- Renforcer le pragmatisme du droit français des contrats
• Accueil favorable de l’inventivité des praticiens du droit = vision du contrat plus commercialiste que civiliste, d’abord appréhendé comme une relation d’affaires
• Relative mise à l’écart des théories doctrinales = seulement la théorie des nullités et de l’opposabilité (seules marques doctrinales du projet)
• Abandon de plusieurs symboles du droit français des contrats : articles symboliques (1134, 1165) et la cause à laquelle est préféré le concept « d’intérêt »
• Reprise pure et simple de certains mécanismes étrangers pragmatiques : ex de l’action interrogatoire (dans le cadre du pacte de préférence, permettre à un tiers de demander au bénéficiaire s’il existe un pacte de préférence. Dans le cadre de la représentation, possibilité de clarifier les pouvoirs du représentant)


LES DEFAUTS ET REGRETS DU PROJET

- Ex de défaut : textes relatifs à la représentation

- Ex de regrets
• Régime de l’imprévision : absence de prise en considération. Ce qui est prévu : une partie peut demander à l’autre renégocier le contrat mais poursuite des obl du contrat. Intervention du juge que si les parties l’acceptent, sinon il ne peut pas. Quel impact des ppes directeurs ? Dans ce cas si l’un des cocontractants refuse de donner son accord au juge de MF => le juge pourrait alors adapter le contrat
• Obligation de donner : reprise dans la classification tripartite
• La lésion qualifiée : déséquilibre manifeste entre les obl issues du contrat, rejet de cette perspective pour l’instant, pas de nullité


CONCLUSION

Malgré ces défauts, projet moderne, pédagogique, ouvert sur les droits étrangers et européens => rénovation qui n’est pas artificielle

lundi 26 septembre 2011

Quand la famille protège du surendettement…

Quand la famille protège du surendettement…

Par Younes Bernand,
Université Jean-Moulin Lyon III,
Centre de droit de la famille
Article paru dans la Revue Droit et Patrimoine - Septembre 2011 (Rubrique Débat)


Alfred Sauvy, en statisticien averti, faisait observer que « les chiffres sont des êtres fragiles, qui à force d’être torturés, finissent par avouer tout ce que l’on veut leur faire dire ». Il illustrait son propos par cet exemple évocateur : « Une femme est fidèle à son mari. Une autre est infidèle au sien deux fois par semaine. En moyenne, ces deux femmes trompent leur mari une fois par semaine ».

On retiendra dès lors que la prudence est de mise lorsqu’il s’agit de tirer des enseignements de données chiffrées.

Cependant, il est des matières où les chiffres parlent d’eux-mêmes et où leur seule lecture offre un aperçu si fidèle de la réalité, qu’il est permis d’en extraire une idée, au fond, assez peu contestable.

Il en est ainsi de la récente enquête typologique sur le surendettement réalisée par la Banque de France. L’objet de cette étude visait à « analyser le profil sociodémographique et professionnel, le niveau et la structure des ressources ainsi que les caractéristiques de l’endettement des particuliers en situation de surendettement ».

Le droit du surendettement génère aujourd’hui un contentieux de masse bien au-delà de ce « qu’on aurait pu imaginer une fois résorbées les situations les plus délicates » (P.-L. Chatain et F. Ferrière, Surendettement des particuliers, Dalloz, coll. « Référence », 2e éd., 2002, p. 2). Depuis la première loi « Neiertz » n° 89-1010 du 31 décembre 1989, près de 2 650 000 dossiers ont été examinés par les commissions de surendettement.

Aussi, lorsque Georges Ripert dénonçait en 1936 le « droit de ne pas payer ses dettes », il était sans doute loin de penser qu’un demi-siècle plus tard, le législateur dessinerait les contours d’un tel droit en faveur du débiteur vulnérable défaillant. Mais plutôt qu’un « droit de ne pas payer ses dettes », s’est imposé le constat que certains débiteurs ne sont plus en mesure d’honorer leurs engagements contractuels ; c’est donc davantage la reconnaissance d’un « droit de ne plus pouvoir payer ses dettes ».

Au fil du temps, les pouvoirs publics ont pris la mesure de la gravité et de l’ampleur de la tâche. Les années 1970 ont accouché d’une société marchande (développement du crédit à la consommation pour satisfaire de nouveaux besoins), où la croissance et le plein emploi ne sont plus assurés. Dès lors, les difficultés économiques demeurent, persistent et s’inscrivent dans le temps ; il en découle logiquement des phénomènes de précarité et d’exclusion sociale. L’endettement devient alors un moyen de subsistance. Ainsi, le débiteur surendetté type, souvent décrit comme un acheteur compulsif qui abuse des crédits, est avant tout un individu de plus en plus seul, de moins en moins jeune, et qui subit l’inexorable érosion de son pouvoir d’achat.

L’enquête fait ainsi apparaître que 65 % des dossiers déclarés recevables par les commissions de surendettement ont été déposés par des personnes vivant seules (contre 58 % en 2001). À l’inverse, la proportion de couples surendettés est à la baisse (35 % en 2010 contre 42,2 % en 2001). Très souvent, le surendettement est la conséquence de difficultés familiales. En effet, près d’un quart des dépôts de dossiers font directement suite à une séparation ou un divorce. C’est ainsi qu’en dix ans, le nombre de personnes séparées ou divorcées surendettées a fortement augmenté (passant de 26,5 % en 2001 à 34,9 % en 2010).

À la lecture de ces chiffres, la rupture conjugale et plus largement familiale apparaît comme l’une des causes principales du surendettement. À cet égard, il est intéressant de constater que la première loi sur le surendettement visait dans son intitulé le « surendettement des particuliers et des familles ». Par la suite, les « familles » ont été oubliées ; les lois suivantes ne visant plus que les particuliers.

Aussi, s’il n’est pas rare que la séparation soit liée aux problèmes d’argent du ménage (surendettement = séparation), force est de constater que la famille protège du surendettement (protection contre : séparation = surendettement).

Plus significatif encore, le nombre de personnes vivant seules, et bénéficiant d’une procédure de rétablissement personnel. Initialement, le législateur a voulu intégrer au mieux le droit du surendettement dans le droit des obligations en instaurant un dispositif spécial visant à mettre le débiteur en état de désintéresser ses créanciers. Mais assez vite, le droit est apparu dépassé par la complexité du phénomène ; les solutions classiques (moratoire, rééchelonnement des dettes) ne suffisant plus. Les pouvoirs publics ont alors imaginé un traitement différencié selon les situations. La loi n° 2003-710 du 1er août 2003 est ainsi venue modifier le visage de ce droit naissant et balbutiant en instituant la procédure de rétablissement personnel, sorte de faillite personnelle (qui s’inspire du droit des procédures collectives). Il s’agit, dès lors que la situation du débiteur est fortement obérée, de prononcer l’effacement de l’ensemble des dettes non professionnelles du débiteur (C. consom., art. L. 332-5). Cette procédure est donc réservée aux situations les plus graves, celles qui sont a priori figées, c’est-à-dire insusceptibles d’évoluer du fait de l’âge ou de la qualification du débiteur.

Ici encore, les chiffres le montrent. Les personnes vivant seules sont les plus vulnérables puisqu’elles représentent 78,4 % des débiteurs orientés vers un rétablissement personnel.

Autre illustration de notre propos. On pourrait croire que plus le débiteur a de personnes à charge, plus il est exposé au surendettement. En réalité, c’est l’inverse, puisque 53 % des surendettés n’ont aucune personne à charge et plus le nombre de personnes présentes au foyer augmente, moins il y a de dossiers déposés. Les statistiques sont suffisamment explicites :

– 0 personne à charge = 53 % ;
– 1 personne à charge = 19 % ;
– 2 personnes à charge = 15,1 % ;
– 3 personnes à charge = 8,2 % ;
– 4 personnes et plus = 4,8 %.

Les chiffres du surendettement offrent un aperçu du coût social et humain engendré par la fragilité des familles. De plus en plus libérale, la législation familiale protège de moins en moins les individus. La hausse de la divortialité et le déclin des solidarités conjugales lors de la séparation (au premier rang desquelles la prestation compensatoire) creusent encore davantage les inégalités (v. notamment, H. Fulchiron, Les solidarités dans les couples séparés : renouvellement ou déclin ?, D. 2009, p. 1703.). Le droit s’éloigne ici peu à peu de sa vocation première, celle de protéger les plus vulnérables. À vouloir reconstruire la famille autour de l’individu, sur une base eudémonique, le législateur ne croyait certainement pas mettre en péril le bonheur de celui qu’il prétend libérer. Dans ce contexte, il ne reste plus au droit du surendettement qu’à colmater les brèches…

TD Régimes matrimoniaux Séance 1

Séance 1 : le régime matrimonial applicable aux époux et les palliatifs à l’absence de régime matrimonial

RM = « charte patrimoniale » du mariage => équivalent de l’art 212 (« charte personnelle »).
RM = applicable exclusivement au mariage (comme sa dénomination l’indique !)

Inapplicable au concubinage et au PACS + solidarité de l’article 220 exclue pour les concubins (Cass. Civ. 1ère, 27 avril 2004 n° 02-16291 notamment) et les partenaires.

Cela ne veut pas dire que des difficultés patrimoniales ne se posent pas en matière de concubinage et de PACS. Au contraire ! Si pour l’heure, le contentieux relatif au PACS est inexistant (sans doute quelques décisions ont été rendues en 1ère instance, mais elles ont été peu commentées) il n’en va pas de même pour le « déconcubinage ».
Preuve que « ce n’est pas l’intensité du lien d’origine qui fait la différence » [J. HAUSER, « Le déconcubinage : une opération simple ? (suite) », RTD Civ. 2010. p. 306]. La vie commune en union libre ou mariage créé nécessairement une confusion des patrimoines.

A défaut de régime de gestion et de protection des biens en concubinage, les juges recourent aux techniques de droit commun pour régler les conflits lors de la séparation :

1° Enrichissement sans cause : démonstration d’un enrichissement (1) et d’un appauvrissement réciproques (2) + absence de cause (3). Les principales difficultés se cristallisent sur ce dernier point. Ex. de causes retenues : intention libérale en général, solder un emprunt en contrepartie d’un hébergement gratuit (jouissance gratuite) et pour que sa concubine et leur enfant bénéficient d’un logement en toute sécurité [Cass. Civ. 1ère, 20 janvier 2010, n° 08-13.400, publié au bulletin, D. 2010. 325. 718, chron. F. CHENEDE.].

Ainsi, dès lors que les transferts de valeurs sont causés, l’action de in rem verso ne peut être ouverte. L’enrichissement sans cause vise en effet à corriger un transfert de valeurs injustifié.
Double justification possible : satisfaction extrapatrimoniale et contrepartie patrimoniale.

!! « Il ne faut surtout pas croire que cette décision de la Cour de cassation sonne définitivement le glas de l'enrichissement sans cause dans ce type de conflit. En effet, en présence d'une collaboration professionnelle excédant la « simple entraide », dépassant la simple contribution aux charges de la vie courante, il est fort probable que les magistrats continueront d'accueillir favorablement l'action de in rem verso formée par le concubin lésé ». (F. CHENEDE, « Pour un affinement de la théorie des quasi-contrats au service de la liquidation patrimoniale du concubinage », D. 2010, p. 718.)

Par conséquent, la théorie de l’enrichissement sans cause pourra être invoquée par l’un des concubins dès lors que sa participation aura dépassé le simple devoir d’entraide familiale et/ou n’aura pas été justifiée par une satisfaction extrapatrimoniale ou une contrepartie patrimoniale.

2° Société créée de fait :

Art 1832 al. 1er : la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter.

Qualification : La Cour de cassation assimile la société créée de fait à un contrat de société… Il s’agit pourtant davantage d’un quasi-contrat qu’un contrat. Elle ne constitue pas en effet une entreprise voulue et préconstituée, mais une entreprise créée de fait. En raisonnant ainsi, la Haute juridiction « en trahit l’essence » (H. LECUYER, note sous Com. 9 octobre 2001, Dr. fam, comm. n° 55).

Principal critère de distinction : la prévision. Tandis que le contrat vise à organiser l’avenir, le quasi-contrat tend à gérer, à apurer le passé (« Attribuer et rendre à chacun le sien… »). Erreur de perspective faite ici par la Cour. D’ailleurs, le concubinage n’apparait-il pas qu’à l’instant où il disparait !
Théorie de la légitimité remontante de J. CARBONNIER

Réunion de 4 éléments cumulatifs = existence d’apports (1), intention de collaborer sur un pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun (affectio societatis + entreprise commune) (2 et 3), intention de participer aux bénéfices et aux pertes éventuelles pouvant en résulter (4). « Ces éléments doivent être établis séparément et ne peuvent se déduire les uns des autres » (Cass. Com. 23 juin 2004, n° 01-10.106 notamment). Sévérité de la jurisprudence. Difficultés à caractériser l’existence d’une entreprise commune. Dans une récente affaire, la Cour d’appel retient que les concubins, en prenant la décision d’effectuer un emprunt pour financer un projet commun de construction d’une maison, ont témoigné d’un affectio societatis, leur but étant de partager une vie de famille stable puisqu’ils avaient un enfant commun. En l’espèce, il n’est pas contesté que la concubine a assuré l’entretien et les charges de l’immeuble (volonté des concubins de participer aux bénéfices et aux avantages tirés de la jouissance du bien et aux pertes. La Cour de cassation considère néanmoins que l’intention de s’associer en vue d’une entreprise ne peut se déduire de ses éléments et est distincte de la mise en commun inhérents au concubinage (Cass. Civ. 1ère, 20 janvier 2010, n° 08-13. 200). La communauté de vie n’induit donc pas nécessairement l’idée d’entreprise commune au sens de l’article 1832.

Un projet immobilier commun n’est en tout cas pas assimilable à une entreprise commune. Il ne suffit pas à caractériser une société créée de fait.

Il est dès lors légitime de se poser la question, au vue de la position de la Haute juridiction, si les concubins peuvent continuer à se prévaloir de la théorie de la société créée de fait (B. DONDERO, « La fin des sociétés créées de fait entre concubins, Revue des sociétés, 2010, p. 430 - « Il est (…) certain que la société créée de fait n'est pas un instrument garantissant à coup sûr au concubin que l'activité déployée de manière profitable à son compagnon trouvera une traduction juridique satisfaisante le jour où les chemins des concubins se seront séparés »).

Problématique du changement de régime matrimonial

Base :

Art. 1397 :

Après deux années d'application du régime matrimonial, les époux peuvent convenir, dans l'intérêt de la famille, de le modifier, ou même d'en changer entièrement, par un acte notarié. A peine de nullité, l'acte notarié contient la liquidation du régime matrimonial modifié si elle est nécessaire.

Les personnes qui avaient été parties dans le contrat modifié et les enfants majeurs de chaque époux sont informés personnellement de la modification envisagée. Chacun d'eux peut s'opposer à la modification dans le délai de trois mois.

Les créanciers sont informés de la modification envisagée par la publication d'un avis dans un journal habilité à recevoir les annonces légales dans l'arrondissement ou le département du domicile des époux. Chacun d'eux peut s'opposer à la modification dans les trois mois suivant la publication.

En cas d'opposition, l'acte notarié est soumis à l'homologation du tribunal du domicile des époux. La demande et la décision d'homologation sont publiées dans les conditions et sous les sanctions prévues au code de procédure civile.

Lorsque l'un ou l'autre des époux a des enfants mineurs, l'acte notarié est obligatoirement soumis à l'homologation du tribunal du domicile des époux.

Le changement a effet entre les parties à la date de l'acte ou du jugement qui le prévoit et, à l'égard des tiers, trois mois après que mention en a été portée en marge de l'acte de mariage. Toutefois, en l'absence même de cette mention, le changement n'en est pas moins opposable aux tiers si, dans les actes passés avec eux, les époux ont déclaré avoir modifié leur régime matrimonial.

Lorsque l'un ou l'autre des époux fait l'objet d'une mesure de protection juridique dans les conditions prévues au titre XI du livre Ier, le changement ou la modification du régime matrimonial est soumis à l'autorisation préalable du juge des tutelles ou du conseil de famille s'il a été constitué.

Il est fait mention de la modification sur la minute du contrat de mariage modifié.

Les créanciers non opposants, s'il a été fait fraude à leurs droits, peuvent attaquer le changement de régime matrimonial dans les conditions de l'article 1167.

Les modalités d'application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d'Etat.


Traditionnellement : principe d’immutabilité des conventions matrimoniales. Idée que le mariage ne lie pas seulement deux individus, il rassemble deux familles, qui sont souvent à l’origine du contrat de mariage. Dès lors, permettre aux deux époux de modifier seuls le régime matrimonial trahit cette idée.

Aujourd’hui, ce modèle semble dépassé. Individualisation, repli du mariage sur le couple…

Autres justifications de l’immutabilité du régime matrimonial :
- Protection du conjoint contre la prépondérance de l’autre.
- Intérêt de la famille : protection contre le détournement des règles de la réserve héréditaire.
- Protection des tiers d’un défaut d’information.

En tenant compte des craintes suscitées par la remise en cause du principe d’immutabilité, la loi de 1965 a ouvert la voie à un changement de régime matrimonial.

Ce changement est soumis à deux séries de conditions : conditions de droit et conditions d’opportunité.

1° conditions de droit :
- Délai de 2 ans de mariage à observer
- Volonté des époux (exempte de vices) matérialisée par une convention rédigée en la forme notariée, qui contiendra, à peine de nullité, la liquidation du précédent régime matrimonial.
- Homologation judiciaire devenue partielle (avec la loi du 24 juin 2006), exigée uniquement en présence d’enfants mineurs communs ou propres à l’un des époux.


2° conditions d’opportunité :
Le changement de régime matrimonial doit avoir pour cause l’intérêt de la famille. La principale difficulté du juge tient dans l’examen du respect de cette cause.

Contenu de la notion :

Intérêt fiscal. Il est licite par exemple « de choisir le moyen légal, fiscalement le plus avantageux, qui permet de satisfaire aux devoirs d’assistance et de prévoyance résultant du mariage » (Amiens, 9 mai 1977, JCP éd. N, 1980, II., p. 283).

Difficulté : part respective qui doit être faite à l’intérêt individuel et à l’intérêt collectif.

L’intérêt de la famille peut être constitué par un intérêt individuel, par l’intérêt d’un seul de ses membres. Par exemple, lorsqu’il s’agit d’assurer la situation pécuniaire du conjoint survivant (Cass. Civ. 1ère, 6 janvier 1976, époux Alessandri, Bull. civ. I, n° 4 ; D. 1976. 253 n. A. PONSARD.).

Contentieux assez nourri : les enfants (cas d’un passage à la communauté universelle) et les créanciers (cas lorsque l’on passe d’un régime de communauté à la séparation de biens) prétendent régulièrement le changement de RM s’est opéré en contradiction de leurs droits.


Fiscalité du changement de RM

1° Les actes notariés constatant une modification ou un changement de RM donnent lieu à la perception d’un droit fixe de 125 € (art. 847-1 CGI). A noter que :
- lorsque le changement de RM entraine une mutation de propriété immobilière (cas où un époux marié sous le régime de la séparation de biens apporte un immeuble à la communauté), taxe de 0,715 %. Pas de taxe de publicité foncière lors pas de nouveau droit réel immobilier (cas d’un apport à la communauté d’un bien indivis entre des époux séparés de biens).
- le passage d’un régime communautaire à un régime séparatiste donne lieu au paiement du droit de partage de 1,1 % (art. 748 CGI).

Le passage d’un régime séparatiste un régime communautaire est fiscalement encouragé, puisque celui-ci ne donne lieu à aucune perception au profit du Trésor.

Conséquences fiscales de l’adoption de la communauté universelle avec attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant. Jusqu’à la loi du 22 août 2007, le passage à un régime de communauté avec attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant était motivé par l’idée de protéger l’époux survivant dans les conditions fiscales les plus avantageuses. Par cette clause, l’époux recueillait les biens du défunt en échappant à tout droit de mutation.

La loi du 22 août 2007 exonère le conjoint survivant de droits de mutation par décès (art. 796-0 bis CGI => le partenaire survivant également…). La clause ne présente donc plus aucun intérêt au plan fiscal.

Au plan civil, elle permet néanmoins à l’époux survivant d’être protégé « en lui assurant des conditions de survie très rassurantes tant au point de vue matériel que psychologique ».

Effet de cette clause : l’époux survivant recueille la totalité de la communauté => dispense de tout partage de la communauté.

Cette clause n’est pas sans danger, principalement pour les enfants : cas où l’époux survivant dilapiderait le patrimoine commun. Les enfants communs n’hériteront qu’au décès de leur second parent (fiscalement, chaque héritier perd son abattement Cf. art. 779-I CGI). Les enfants issus d’un seul parent courent le risque d’être déshériter (action en retranchement pour les protéger – art. 1527 al. 2 C. Civ.).

dimanche 18 septembre 2011

L'agonie de l'Europe par Jacques SAPIR

Description du processus inéluctable vers lequel les gouvernants européens nous amènent...



La crise de l’Euro est désormais entrée dans sa phase terminale, comme cela a été prévu à la fin de 2010. La crise actuelle est appelée à s’aggraver, rythmée par le défaut de la Grèce (octobre ou novembre), le déclenchement de la crise Espagnole et une crise bancaire généralisée dans les pays de la Zone Euro. Le temps de la crise s’impose désormais aux politiques. Les conditions de gouvernance de la zone Euro sont clairement inadaptées, mais les conditions de réformes de cette dernière sont incompatibles avec la temporalité de la crise. Nous sommes donc face à l’agonie de l’Euro.


I – La crise de la zone Euro connaît depuis ces dernières semaines une accélération dramatique.

Celle-ci apporte le démenti le plus cinglant aux attitudes de déni de réalité dans lesquelles les responsables français, de la majorité comme de l’opposition, se sont pour la plupart enfermés. Désormais nous sommes en présence de la situation suivante :

La crise grecque a pris une tournure clairement incontrôlable. Un défaut de ce dernier pays ne peut plus être évité. Il peut seulement être retardé. Il peut survenir à partir du mois d’octobre 2011, même s’il est encore probable qu’il se produira entre novembre et décembre 2011. Ce défaut ne fait sens que si la Grèce sort de la zone Euro, ce qui pourrait survenir soit immédiatement soit dans un délai de 6 à 8 semaines après le défaut. Les conséquences sont alors les suivantes :

1. La crise Grecque impose de fournir de 2012 à 2019 de 340 à 380 milliards d’Euros à ce pays, et ceci sans tenir compte d’une possible aggravation de son déficit et des besoins d’autres pays qui sont estimés à plus de 1000 milliards.

2. Ce défaut est déjà clairement anticipé par les principales banques européennes. Mais le processus de transmission des « mauvaises dettes » à la BCE est loin d’être achevé.

3. L’Allemagne a d’une certaine manière déjà « acté » de la sortie de l’Euro par la Grèce comme le montre le plan de soutien pour ses propres banques.

4. Il est clair désormais que dans un certain nombre d’établissements bancaires européens on se prépare à la fin de la zone Euro. Les positions qui seront prises dans les jours qui suivent pourraient avoir des effets cumulatifs.

Avec le défaut et AVANT la sortie de la Grèce de la zone Euro, la spéculation se déchaînera contre le Portugal, l’Irlande, l’Espagne et l’Italie (et peut-être la Belgique). Elle se combinera avec une crise sociale grave en Espagne liée à l’interruption des allocations chômage pour une partie des chômeurs arrivant en fin de droit. Cette crise obligera l’Espagne à demander l’aide du Fond Européen de Stabilisation Financière (FESF) pour des montants excédant largement ce qui est pour l’instant prévu.

1. Hors la Grèce, les besoins à court terme (2014) peuvent être estimés à 90 milliards pour le Portugal, 50 milliards pour l’Irlande, de 250 à 300 milliards pour l’Espagne. C’est donc un total de 390 à 440 milliards d’Euros qu’il faudra fournir pour les pays déjà en difficulté.

2. Ce calcul laisse dans l’ombre le fait qu’avec l’aggravation de la spéculation, l’Italie et la Belgique devraient dès le début de 2012 demander une aide supplémentaire.

3. Par ailleurs le rythme de la crise en Espagne est aujourd’hui imprévisible. Si une accélération se produit, les sommes nécessaires augmenteront en conséquences.

La combinaison de (1) et (2) a déjà été partiellement anticipée par les marchés depuis début août et a entraîné une chute dramatique et spectaculaire de la capitalisation des banques européennes. La chute de la capitalisation des banques européennes aura des conséquences importantes à court terme :

1. La nécessité d’une recapitalisation de ces banques va se faire jour à très court terme. Elle sera massivement impopulaire dans tous les pays en raison du précédent de 2008.

2. La crise mettra en évidence le caractère largement factice des « stress-tests » conduits au printemps dernier et qui excluait tout défaut sur la dette souveraine d’un État membre. Les sommes nécessaires, en dépit des dénégations des ministres, pourraient bien être supérieures à 200 milliards d’Euros.

3. En France, il faut s’attendre à une dégradation de la note des banques qui précèdera celle de l’Etat.

4. Le risque d’un run bancaire ne peut plus être totalement écarté. Il pourrait nécessiter une nationalisation de l’ensemble du secteur bancaire.


On assiste désormais à un phénomène de fatigue de l’Euro, qui se caractérise par :

1. Une incapacité des gouvernements à trouver des solutions qui soient à la fois communes et efficaces.

2. Un sentiment qui gagne l’opinion et les gouvernants, en dépit du déni de réalité qui prévaut encore, comme quoi la bataille est perdue.

3. Une opposition croissante entre les pays de la zone Euro sur les solutions tant présentes que futures.



II – Cette situation va conduire à un enchaînement rapide dans les mois qui viennent, enchaînement qui va rendre obsolète un bon nombre de positions politiques.

Le véritable défi qui est posé à la classe politique consiste à être capable d’anticiper les évènements et de réagir en conséquence.

L’Euro, dans sa forme actuelle est condamné. Les moyens évoqués pour stabiliser puis résorber les déséquilibres tant conjoncturels (comme la hausse rapide du poids des dettes souveraines) que structurels (le déficit de croissance avec le reste du monde développé, le phénomène d’euro-divergence entre les pays) sont aujourd’hui soit insuffisants soit politiquement impossibles.

1. Les Eurobonds. Cette idée est désormais dépassée. L’émission de titres de dettes englobant les pays à risques et les pays réputés « sains » aurait un taux d’intérêt prohibitif.

2. La monétisation des dettes. Une monétisation des dettes pourrait être faite par la BCE directement en faveur des États et non comme aujourd’hui en rachetant aux banques des titres publics. Mais un certain nombre de pays de la zone Euro s’y opposent.

3. Une stabilisation volontariste de la dette. Outre qu’elle semble largement impossible dans de nombreux pays, si cette politique était appliquée, elle plongerait la zone Euro dans une profonde dépression que recréerait de la dette par disparition des ressources fiscales.

La poursuite de la politique actuelle tentant de sauver l’Euro va provoquer d’ici quelques mois une grave crise dans les relations franco-allemandes. L’opposition entre les deux pays est désormais systématique. La Chancelière, Mme Merkel, est aujourd’hui politiquement affaiblie et ne peut, sans se suicider électoralement, faire accepter à l’Allemagne l’ampleur de la contribution nécessaire. Cette dernière est estimée à 2% du PIB par an pendant 7 ans en transferts fiscaux et 4% du PIB par an et sur la même période en charge d’emprunts supplémentaires. Il faut donc décider aujourd’hui ce qui est le principal, la « survie » de l’Euro au prix d’un affrontement permanent entre les deux pays, qui risque in fine de compromettre son objectif, ou de bonnes relations entre les deux pays.

Les conséquences sur la France de cette politique risquent d’être dramatiques. Non seulement la contribution que notre pays devra verser, directement ou indirectement, sera lourde, mais les conséquences combinées sur la croissance d’une politique d’austérité draconienne et d’un taux de change surévalué nous condamneront à une longue période de récession et à une accélération du processus de désindustrialisation que nous connaissons déjà.

L’Euro importe moins que le principe de coordination monétaire. Plus que l’Euro, c’est le principe d’une coordination des politiques monétaires qu’il faut sauver. Si des dévaluations sont inévitables, il faut les accepter mais faire en sorte qu’elles ne sortent pas d’un cadre pré-établi. Pour cela, il importe de limiter les espaces de spéculations en contrôlant les mouvements de capitaux et en interdisant un certain nombre d’opérations sur les marchés. Ces mesures auraient du être prises dès le début de la crise en 2008. Il faut tirer les leçons de pourquoi il n’en fut rien et comprendre qu’une gouvernance active n’est pas possible avec un grand nombre de pays. C’est pourquoi il faut accepter de passer du principe de coopération (dont le meilleur exemple est la monnaie unique) au principe de coordination et à terme soit faire évoluer l’Euro, soit le recréer comme une monnaie commune.

L’agonie de l’Euro peut durer de six à dix-huit mois.

Ses conséquences politiques peuvent être dramatiques tant à l’intérieur de chaque pays (et des élections sont prévues dans de nombreux de ces derniers en 2012 et 2013) qu’au sein de l’Europe. Dans la situation actuelle, la meilleure des solutions consisterait en une dissolution de la zone qui permettrait de mettre en avant immédiatement les institutions nécessaires à une transition ordonnée. À défaut d’une telle solution, il convient de se prémunir contre les effets les plus néfastes de cette agonie en prenant les mesures unilatérales de sauvegarde qui ont été détaillées dans des documents ultérieurs et, le cas échéant, en sortant de l’Euro.