dimanche 17 février 2013

Publication de la nouvelle édition du Bulletin des arrêts de la Cour d'appel de Lyon (BACALy)

Le bulletin semestriel numéro 2 du BACALy vient de paraitre. Les arrêts les plus intéressants de la Cour d'appel de Lyon sont ainsi commentés par l'ensemble des enseignants et des chercheurs de l'Equipe de droit privé de l'Université Lyon 3.
 
Pour ce premier semestre de l'année 2013, vous y retrouverez notamment une étude chiffrée sur la prestation compensatoire menée par le Centre de droit de la famille.
 
Bonne lecture !


 

Eléments de commentaire - Mixte, 27 février 1970, « Dangereux ».

Actualité de la décision.

1° Le type de responsabilité en cause ici est désormais absorbé par un droit spécial, la loi du 5 juillet 1985, dite Loi Badinter qui a institué la responsabilité civile du fait des accidents de la circulation afin de faciliter la réparation des dommages causés par les VTM et d’assurer une meilleure protection des victimes directes et indirecte d’ailleurs… (objet d’une séance de TD). La victime aurait en l’espèce pu se fonder sur l’article 6 de la loi prévoit l’indemnisation des victimes par ricochet.

La situation du concubinage a depuis bien évolué : d’abord rejeté par le droit, le concubinage a été progressivement appréhendé par les juges, puis par le législateur. Consécration par la loi du 9 novembre 1999 (définition légale dans le Code civil – art. 515-8). Plus aucune condamnation morale de nos jours.

!! Il s’agira évidemment tenir compte du contexte dans la construction de son commentaire de cette décision rendue en 1970, sans omettre d’évoquer l’évolution du droit depuis sur la question. L’arrêt est commenté en 2013 et non en 1970 !


Intérêt de la décision :

-         Intérêt scientifique certain : pour preuve, fait l’objet d’un commentaire GAJC (« un des revirements de jurisprudence les plus retentissant qu’ait connus le droit civil français ». Arrêt commenté en lien avec Civ. 27 juillet 1937). 

-         Il est également intéressant d’observer comment un fait social (concubinage), qui est aujourd’hui parfaitement intégrée dans les mœurs était appréhendé par le droit à l’époque. « Autre temps, autres mœurs » et évidemment autre approche par le droit…

-         Dans le prolongement : la question posée fut de savoir si en 1970 le concubin pouvait se prévaloir d’un préjudice légitime, donc réparable ? Plus largement, la place, la valeur du concubinage

-         Question du lien unissant le défunt (victime n° 1) et la victime par ricochet (victime n° 2 ?). Nature et consistance du lien ? : ici, absence de lien de droit, de lien de parenté

 
Problème de droit : le dommage subi par le concubin du fait du décès de son compagnon présente t-il un caractère légitime, ouvrant droit à réparation ?

 
Opposition entre deux conceptions :

Conception objective : le concubinage est une union qui n’engendre entre les concubins ni droits ni devoirs ; il en de même à l’égard des tiers = Pas de droit à réparation

Conception subjective : le concubinage qui présente les conditions de stabilité propres au mariage et qui ne revêt pas un caractère délictuel (non adultérin) ouvre d’un droit à indemnisation en cas d’accident. Interruption d’une union qui avait vocation à s’inscrire dans le temps.

 
Jurisprudence :

Position 1 – Civ. 27 juillet 1937, Grands arrêts, t. 2, n° 185 : exclusion du droit à indemnisation au motif que les relations de concubinage « ne peuvent, à raison de leur irrégularité même, présenter la valeur d’intérêts légitimes, juridiquement protégés ».

Position 2 – Crim. 26 juin 1958. La Chambre criminelle de la Cour de cassation avait ensuite admis l’action civile formée par la concubine du défunt dès lors que le concubinage était suffisamment stable et n’impliquait pas de relations adultères.

 Position 3 – Mixte, 27 février 1970. La Chambre civile se rallie à la position de la Chambre criminelle.

 
Raisonnement du juge en deux temps :

1° un verrou à faire sauter : question du lien entre victime 1 et victime 2

2 °pour dire si le dommage subi par le concubin constitue un préjudice légitimement réparable.

 

I – Le lien unissant le défunt et la victime par ricochet

Là aussi, démarche du juge en deux temps :

« La lésion d’un intérêt suffit à constituer le dommage, l’absence de droit rend simplement plus discutable la certitude du préjudice, mais ne l’exclut pas nécessairement » (GAJC, p. 305)

1° pour la Cour de cassation, l’existence d’un lien de droit entre victime 1 et victime 2 est facultatif. N’est plus une condition exclusive de droit à réparation. Renvoie à la NATURE du lien

2° Mais, si admission d’un lien de fait, nécessité de caractériser ce lien… Question de la CONSISTANCE du lien. Les juges doivent mesurer, apprécier la consistance du lien.
 

A – NATURE DU LIEN : abandon du critère du lien de droit

Position initiale de la jurisprudence (Civ. 27 juillet 1937) : existence d’un lien de droit entre victime 1 et victime par ricochet.

Deux raisons :

-         ne pas laisser prospérer des situations de fait (notamment de concubinage, voir II. Disqualification de la situation de concubinage)

-         et dans le lien de droit, lien présumé d’affection.

 Exclusion du droit à indemnisation au motif que les relations de concubinage « ne peuvent, à raison de leur irrégularité même, présenter la valeur d’intérêts légitimes, juridiquement protégés ».

 Ici, lien entre le défunt et la victime par ricochet : lien d’affection, pas de droit.
Le concubinage ne crée aucun droit (ni de devoirs) entre les concubins.

 
Juge de première instance : analyse in concreto du concubinage : garanties de stabilité, pas de caractère délictueux. Vie maritale. Imitation du mariage… « CE concubinage »
Cour d’appel : analyse in abstracto : principe général selon lequel le concubinage ne crée par de droit entre les concubins ni à leur profit vis-à-vis des tiers
Cour de cassation : l’article 1382 ne pose par comme exigence l’existence d’un lien de droit entre le défunt et le demandeur en indemnisation. Se rallie finalement à la position des juges de première instance

 Mais en détachant l’article 1382 de l’exigence d’un lien de droit, la Cour de cassation enjoint les juges du fond à mesurer la consistance du lien qui unit victime 1 et victime 2…


B – CONSISTANCE DU LIEN : choix d’un lien de fait caractérisé

Rôle de plus en plus important de l’affection en droit…

 Difficultés du ou des ritères pour caractériser l’existence d’un lien d’affection entre la victime 1 et la victime par ricochet pour déterminer le droit à indemnisation. Stabilité et continuité du concubinage ? Vie commune ? Durée ? Enfants communs ? Le défunt était-il tenu d’une obligation naturelle à l’égard de son concubin ? (le concubin en deuil serait ainsi privé de chance de voir son compagnon exécuter l’obligation naturelle dont il avait la charge) …

 En l’espèce…

Les juges fait ainsi sauter le verrou sur la nature du lien unissant défunt et victime par ricochet. Ce qui leur permet d’affirmer que le préjudice subi par le concubin est un préjudice réparable…


II – Le caractère légitime du préjudice subi par le concubin

Cet arrêt s’inscrit dans deux mouvements convergents :

-         Processus d’acceptation et de tolérance du concubinage : pose la question des fondements de la solution (A)

-         Ouverture toujours plus grande du droit à indemnisation : pose la question des limites (B)

 

A - FONDEMENTS

La légitimité du dommage subi par le concubin tient au degré d’acceptation ou de tolérance du concubinage. Cf. position entre 1937 (contraire aux bonnes mœurs) et 1970 (toléré)…

 Décision de 1970 participe au processus d’acceptation du concubinage.
Puis dépénalisation de l’adultère (loi du 15 juillet 1975).

 Pendant longtemps : condamnation (formule de Napoléon), rejet, neutralité du législateur puis tolérance, acceptation. (Finalement l’histoire de tout processus social qui se construit en marge du droit). Hausse quantitative a appelé un saut qualitatif. Nécessité pour les juges d’abord, puis le législateur d’encadrer l’union, de reconnaitre certains droits…

Droits sociaux (loi 1989) = logement ; droits parentaux...
Libéralité faite à sa concubine pour maintenir une relation adultère (1999 et 2004)…


B - LIMITES

Source : prolongement de l’article 31 CPC selon lequel « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention… »

Idée de limiter les différentes demandes en indemnisation : tout dommage certain et direct n’est pas réparable ; encore faut-il qu’il soit LEGITIME.

En matière de concubinage :
Quel est le préjudice réparable ?

-         Union qui a vocation à durer ; préjudice du à la rupture fautive de l’union. Par un tiers. On pourrait d’ailleurs appuyer cette thèse par les conséquences abusives ou fautives de la rupture qui ouvre droit à réparation pour le concubin éconduit… Ici, c’est un tiers qui est à l’origine de la cessation de l’union libre

-         Préjudice d’affection,  réparation du prix de la douleur

Difficultés de réparation d’un tel préjudice
+ Mettre en lien avec la nature du concubinage : UNION DE FAIT (ainsi défini à l’art. 515-8). La liberté a un prix… Risque de