samedi 31 mars 2012

La responsabilité civile et l’enfant


L'enfant doit être entendu comme le mineur, que la loi définit comme l'individu qui n'a point encore l'âge de 18 ans accomplis (art. 388 C. civ.). Le droit accorde une protection particulière au mineur tant pour sa personne que pour ses biens. Le droit civil, tout particulièrement, considère qu'il faut éduquer l'enfant et le protéger (autorité parentale). De façon générale, le mineur est incapable et doit être représenté (administration légale).
Néanmoins, le droit de la minorité tient compte de l'âge de l'enfant, qui, par étapes, acquiert progressivement une autonomie juridique. Ainsi, doit-on distinguer le mineur dépourvu de discernement (infans, littéralement : celui qui ne parle pas), du mineur doué de discernement, de celui proche de la majorité. Pour des raisons évidentes (préparation de l'enfant à la majorité, sorte de pré-majorité dès l'âge de 16 ans), le droit ne peut être uniforme dans ces différents stades de la minorité.

 
Qu'en est-il pour le droit de la responsabilité civile (dont nous limiterons l'étude ici à la responsabilité délictuelle) ? Pendant longtemps, l'enfant dépourvu de discernement était irresponsable de ses délits. Seule la responsabilité de ses parents pouvait être engagée (art. 1384 al. 4) [1]. L'évolution du droit de la responsabilité a néanmoins conduit la jurisprudence a jugé que le mineur même privé de discernement pouvait commettre une faute engageant sa responsabilité (art. 1382 – Plén. 9 mai 1984, Lemaire et Derguini) [2].

  
1° La responsabilité du fait de ses enfants

Art. 1384 al 4 : responsabilité des parents du fait de leurs enfants mineurs.

Conditions de mise en œuvre de 1384 al 4 :
  • Un mineur. Exclusion des majeurs, même s'ils vivent sous le même toit que leurs parents
  • Exercice de l'autorité parentale soit conjointe (les deux parents sont solidaires), soit unilatérale (responsabilité du parent seul titulaire de l'exercice de l'autorité parentale). Exclusion de la responsabilité du beau-parent.
  • Cohabitation avec l'enfant : d'une interprétation matérielle de la notion (présence permanente de l'enfant avec ses parents) à une interprétation juridique. Revirement opéré par l'arrêt Bertrand (Civ. 1ère, 19 février 1997). La notion de cohabitation reste ainsi étroitement liée à l'exercice de l'autorité parentale. Les parents d'un enfant, même confié temporairement à un tiers, restent responsables.
  • Fait de l'enfant : retenir simplement le rôle causal (Plén, 9 mai 1984, Fullenwarth), peu important que le fait ne soit pas fautif.  
Nature de la responsabilité du fait des mineurs = doublement objective :
  • Il n'est pas utile de retenir une faute des parents dans l'éducation et la surveillance de l'enfant. Aucune possibilité pour les parents donc de s'exonérer de leur responsabilité en démontrant qu'ils n'ont commis aucune faute ou que leur enfant était confié à un tiers (éviction de la responsabilité des grands-parents).
  • De même qu'il n'est pas nécessaire d'apporter la preuve d'une faute de l'enfant. Conformité de la jurisprudence à la lettre de l'art. 1384 al 4 : « des dommages causés… ».

Régime extrêmement favorable aux victimes : pas de difficultés dans la recherche des responsables (exercice de l'autorité parentale) et dans la démonstration du fait dommageable.

Possibilité pour la victime d'agir soit contre les parents de l'enfant mineur (sur le fondement de l'art. 1384 al 4), soit contre le mineur lui-même (sur le fondement des art. 1382 ou 1383), dont le régime privilégie également considérablement la victime.

 2° La responsabilité personnelle de l'enfant
Question de la faute de l'enfant dépourvu de discernement : 
  • Position ancienne : pas de mise en jeu possible de l'art. 1382 ; l'infans étant dépourvu de conscience, son comportement ne peut donc lui être imputable. Unique possibilité pour la victime : art. 1384 al 4.
Assimilation de l'enfant au fou : « si un enfant ou un fou fait quelque chose qui cause du tort à quelqu'un, il n'en résulte aucune obligation de la personne de cet enfant ou de ce fou ; car ce fait n'est ni un délit, ni un quasi-délit, puisqu'il ne renferme ni imprudence, ni malignité dont ces sortes de personnes ne sont pas susceptibles » (POTHIER, « Obligations », 1781, n° 118.).
  • Position nouvelle : indifférence de l'imputabilité, mise en jeu de la responsabilité du fait personnel du mineur (Plén. 9 mai 1984, Derguini et Lemaire). Revirement de jurisprudence qui s'inscrit dans le mouvement d'objectivisation de la responsabilité initiée par la réforme de 1968 qui a obligé le majeur dont les facultés mentales sont altérés à réparer les dommages qu'il a causés (art. 414-3). 
     
L'enfant peut-il être gardien d'une chose ?

Plén., 9 mai 1984, Gabillet : l'enfant peut être déclaré gardien d'une chose, sans qu'il soit nécessaire de caractériser sa capacité de discernement. Incidence importance sur la notion de garde, puisque depuis l'arrêt Franck (1941), la jurisprudence définissait la garde comme « l'usage, le contrôle et le comportement de la chose ». En retenant l'infans comme possible gardien de la chose, la Cour de cassation limite la garde au simple usage de l'instrument du dommage.

 
Indifférence de la nature du fait dommageable, indifférence de l'auteur de celui-ci, la responsabilité civile délictuelle et quasi-délictuelle a aujourd'hui davantage vocation à couvrir les risques (sorte d'assurance tout risque) qu'à responsabiliser les individus et les inviter à assumer leurs actes. L'analyse de la situation du mineur, auteur de la faute, le démontre assez bien.

vendredi 16 mars 2012

L’indivision


Ce qu'est l'indivision : situation de plusieurs personnes ayant des droits de même nature sur un même bien.

Exemples d'indivision :
  • les biens d'une même personne décédée sont indivis entre les héritiers.
  • les biens des époux mariés sous le régime de la séparation des biens sont présumés leur appartenir en indivision.
  • les biens des époux mariés sous un régime communautaire et divorcés sont soumis au régime de l'indivision.
Ce que n'est pas l'indivision :
  • Situation entre un usufruitier (usus et fructus) et un nu-propriétaire (abusus)
  • Situation entre un tréfoncier (propriété du sol) et un superficiaire (propriété des constructions et des plantations).
Mais !! : des usufruitiers peuvent entre eux être en indivision, idem pour plusieurs nu-propriétaires.

Fonctionnement général de l'indivision : chaque co-indivisaire (ou copropriétaire) dispose d'une fraction de l'ensemble, c'est-à-dire d'une quote-part. Si quatre indivisaires disposent ainsi du même nombre de parts, le droit de propriété de chacun équivaut à ¼ de l'ensemble des droits.  

Historiquement, le Code civil de 1804 n'a édicté aucune règle d'administration de l'indivision. Préférence des rédacteurs du Code pour la propriété individuelle. Le seul texte = 815 (Nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision).
Conséquences : des difficultés sont apparues dans la gestion des biens en indivision.
Deux textes sont ainsi venus par la suite donner un statut à l'indivision (loi du 31 décembre 1976 et loi du 23 juin 2006).

Base juridique de l'indivision : art. 815 à 815-18.

 
1° La gestion de l'indivision :
  • Caractère supplétif des règles de gestion de l'indivision = les copropriétaires peuvent donc les adapter conventionnellement.
  • Les actes laissés à l'initiative d'un indivisaire : ACTES CONSERVATOIRES (815-2 al 1er). Chaque co-indivisaire a le pouvoir d'accomplir seul les actes conservatoires, d'employer pour cela les fonds indivis qu'il détient ou de contraindre les autres copropriétaires à faire avec lui les dépenses nécessaires (art. 815-2 al 2 et 3)
  • Les actes nécessitant la majorité des 2/3 des droits indivis (depuis la loi du 23 juin 2006, abandon de la règle de l'unanimité) : ACTES DE GESTION (énumérés à l'art. 815-3). Notamment les actes d'administration.
  • Les actes nécessitant l'unanimité des indivisaires : pour tous les autres actes (815-3 al 7). La règle de l'unanimité (bien que remise en cause avec la loi du 23 juin 2006) demeure le droit commun ; autrement dit à défaut de texte spécial, la règle de l'unanimité s'applique.
  • Sanction : l'acte pris en contrariété avec ces règles de gestion est inopposable aux indivisaires non consentants (Civ. 1ère, 27 octobre 1992). Ces derniers peuvent agir individuellement ou collectivement sans attendre le résultat du partage. Au moment du partage, si le bien faisant l'objet de l'acte frappé d'inopposabilité a été mis dans le lot de celui qui l'a passé, l'acte est validé. Dans le cas contraire (bien attribué à un autre indivisaire), l'acte est irrévocablement inefficace.
  • Possibilité pour le juge de modifier la répartition des pouvoirs des indivisaires dans les situations de crise (cf. 815-4,-5,-6).
     
2° la détermination des biens indivis :
  • Cas de la subrogation réelle (un bien prend la place d'un autre dans la masse indivis) :
    • Créances et indemnités : la créance du prix de vente d'un bien indivis remplace ce dernier dans la masse indivise. Idem pour une indemnité versée par l'assurance. Subrogation de plein droit (815-10 al 1er)
    • Biens acquis grâce à des deniers indivis :
      • Emploi : les co-indivisaires font l'acquisition d'un bien avec des deniers indivis. Le bien devient indivis
      • Remploi : les co-indivisaires vendent un bien indivis, puis avec le prix de la vente, ils font acquisition d'un bien. Le bien devient indivis.
      • Dans les rapports entre co-indivisaires néanmoins : le bien n'intègre la masse indivisaire qu'avec le consentement de tous les indivisaires ; à défaut, le bien appartient à l'indivisaire qui a effectué l'opération (815-10 al 1er)
      • Dans les rapports avec les tiers : opposabilité que si l'acte d'emploi ou de remploi indique que le bien a été acquis pour le compte de l'indivision (Civ. 1ère, 4 janvier 1980).
  • La question des plus-values ou moins-values :
    • Principe : celles-ci profitent ou doivent être supportées par l'ensemble des indivisaires
    • Cas où la plus-value ou la moins-value est imputable à un indivisaire :
      • Si l'indivisaire a effectué des améliorations du bien avec ses propres capitaux, l'indivision lui doit une indemnité égale au montant de la plus-value. Dans tous les cas, le juge peut faire une autre évaluation de l'indemnité (en se fondant sur l'équité, art. 815-13 al 1er).
      • Si un indivisaire a, toujours avec ses propres capitaux, procédé aux impenses nécessaires à la conservation du bien, l'indivision lui doit une indemnité égale à la plus forte des deux sommes entre la dépense faite et l'enrichissement pour la masse indivise (Civ. 4 mars 1986).
      • Si un indivisaire a au contraire diminué par sa faute la valeur d'un bien indivis, il doit une indemnité à l'indivision équivalente à la valeur que le bien aurait eu sans les dégradations (art. 815-13 al 2).
  • Cas des fruits et revenus : art. 815-10. Le principe est que les fruits et revenus de l'indivision font partie de l'indivision et seront distribués, lors du partage, en fonction des droits respectifs de chacun. La loi prévoit que chaque co-indivisaire peut prendre sa part annuelle sur les bénéfices nets réalisés, sans attendre le temps du partage (815-11).
3° les droits des indivisaires
  • Le droit d'usage et de jouissance (815-9) : chacun peut jouir dans ses propres droits dans l'indivision à condition de respecter leur destination et d'en faire un usage respectueux du droit des autres. Dans le cas d'un usage exclusif de l'indivision, paiement à l'indivision d'une indemnité. 
  • Le droit au partage : 815.
    • Insusceptible d'abus (Civ. 26 décembre 1866), imprescriptible (Req. 13 décembre 1937)
    • Effet rétroactif du partage : chacun est réputé propriétaire à la date du commencement de l'indivision (et non à celle du partage), et donc n'avoir jamais été propriétaire des biens des autres (Ch. réun. 5 décembre 1907, Chollet-Dumoulin)
    • Exceptions au droit au partage (815 in fine) :
      • Maintien conventionnel de l'indivision : décision prise à l'unanimité, par écrit (art. 1873-2) pour une durée de 5 ans au plus
      • Maintien judiciaire de l'indivision : le juge peut surseoir au partage pour deux années au plus si sa réalisation immédiate risque de porter atteinte à la valeur des biens indivis (820). Le juge peut également attribuer une part à celui qui sollicite le partage si les autres veulent rester dans l'indivision (attribution éliminatoire, ou partage partiel) (824).
  • La cession des droits indivis :
    • Droit de préemption : celui qui veut céder ses droits (à titre onéreux) à une personne étrangère à l'indivision, doit notifier à ses co-indivisaires le prix, les conditions de la cession projetée et l'identité de l'éventuel acquéreur, à peine de nullité (815-6). Les copropriétaires ont alors 1 mois pour exercer leur droit de préemption, et 2 mois à compter de la déclaration de préemption pour réaliser l'acquisition (815-14 et -15).
    • Possibilité d'octroyer à un co-indivisaire un acompte sur ses droits dans le partage à intervenir (815-11 al 4)
4° les créanciers de l'indivision :
  • Les créanciers de l'indivision : traitement avantageux par rapport aux créanciers personnels des indivisaires. Ils disposent d'un droit de gage général sur la masse indivise, donc peut procéder à la saisie des biens indivis avant le partage (815-17 al 1er)
  • Les créanciers personnels des indivisaires : droits limités puisqu'ils ne peuvent saisir un bien indivis, ni la quote-part de leur débiteur (815-17 al 2). Ils peuvent simplement provoquer le partage au nom de leur débiteur (par voie oblique donc) ou intervenir dans le partage (815-7 al 3). Possibilité pour les autres indivisaires d'arrêter le cours de l'action en partage en payant le créancier (à charge pour eux ensuite de se rembourser sur les biens indivis, 815-17 al 3).

 

Cas pratique n° 2 – Eléments de correction

1/M. Silvio et Mlle Veronica ont acquis un appartement en indivision le 6 mars 2009. Les créanciers de M. Silvio menacent néanmoins de saisir le bien immobilier pour recouvrer leurs dettes professionnelles (contractées en janvier et octobre 2009).

 Les créanciers de M. Silvio entendent ainsi obtenir le remboursement de leurs créances en sollicitant la saisie de l'appartement du couple pour en obtenir le prix.
La difficulté tient ici au fait que le bien immobilier n'appartient pas exclusivement à M. Silvio. En effet, ce dernier partage son droit de propriété avec sa concubine, Mlle Veronica. Les deux intéressés sont donc copropriétaires et disposent des mêmes droits sur le même bien.

Notons que ni mariés, ni pacsés, ils ne disposent pas des différents régimes de gestion des biens applicables au mariage et au PACS. Il conviendra par conséquent de leur appliquer le régime général de l'indivision prévu aux articles 815 et s. du Code civil.Par ailleurs, M. Silvio ne semble pas avoir effectué une déclaration d'insaisissabilité, qui lui permet de protéger sa résidence principale contre ses créanciers professionnels (art. L 526-1 C. Com).
L'art. 815-17 distingue les créanciers de l'indivision et les créanciers personnels de l'un des indivisaires. Les premiers peuvent agir contre l'indivision et disposent d'un droit de gage général qui porte sur la masse indivise. Les seconds sont moins bien lotis, puisqu'ils ne peuvent saisir ni un bien indivis, ni la quote-part de leur débiteur dans l'indivision.
En l'espèce, il s'agit des créanciers de M. Silvio (créanciers de la 2nde catégorie de l'art 815-17). Ils ne peuvent donc en principe saisir l'appartement du couple, ni même être désintéressés sur la quote-part de M. Silvio dans l'indivision.

Dès lors, deux choses l'une. Ou bien, M. Silvio consent à solliciter le partage (et donc la vente de l'appartement pour en obtenir sa part), ou bien M. Silvio rejette cette option et les créanciers devront agir par la voie de l'action oblique (en lieu et place du débiteur).
Dans le cas où M. Silvio consent à solliciter le partage :L'art. 815 dispose que nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué. Droit insusceptible d'abus et imprescriptible, le droit au partage permet à chaque indivisaire d'obtenir la vente du bien indivis pour en obtenir le prix. Le maintien dans l'indivision peut toutefois être imposé par convention ou par le juge.
En l'espèce, les concubins n'ont pas conventionnellement prévu de demeurer dans l'indivision. Il est par ailleurs exclu que le juge ne décide de s'opposer au partage en recourant à l'attribution éliminatoire (qui consiste à attribuer sa part à celui qui en sollicite le partage) ; un tel choix reviendrait en pratique à procéder au partage puisqu'il s'agit d'une indivision à 2 copropriétaires. En définitive, M. Silvio, s'il le souhaite, pourra obtenir le partage.

 
Cas où M. Silvio n'entend pas solliciter le partage :
Le dernier alinéa de l'article 815-17 prévoit que les créanciers de l'un des indivisaires peuvent provoquer le partage au nom de leur débiteur ou intervenir dans le partage provoqué par lui. Et dans ce cas, les autres indivisaires peuvent arrêter le cours de l'action en partage en acquittant l'obligation au nom du débiteur et en obtenir le remboursement sur les biens indivis.
En l'espèce, les créanciers peuvent donc provoquer le partage, par la voie de l'action oblique, si M. Silvio refuse d'en faire usage et s'ils démontrent que leur intérêt est compromis (Civ. 1ère, 17 mai 1982). Dans ce cas, on peut imaginer que Mlle Veronica, si elle le peut, désintéressera les créanciers de son compagnon par ses propres moyens. Elle pourra ensuite obtenir le remboursement à M. Silvio de ce qu'elle a avancé lors du partage du bien indivis.

 

 2/ Le père de Mlle Veronica vient de se décéder. Elle vient d'hériter avec ses deux frères d'une maison à Firminy, d'un élevage de chat et d'une somme déposée en compte courant.
Nous n'entrerons évidemment pas dans le détail des règles de la dévolution et du partage successoraux. Mlle Veronica est propriétaire avec ses deux frères d'une masse indivise, résultant de la succession de leur père. Elle s'interroge sur la gestion des biens indivis suivants : 
  • La maison de Firminy. La maison est investie par l'un des frères de Mlle Veronica. Le possesseur des lieux refuse même que les deux autres viennent le déranger.
L'art. 815-9 dispose que chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l'effet des actes régulièrement passés au cours de l'indivision.
En l'espèce, l'usage de la maison fait par Ivan est évidemment abusif. Il ne peut s'octroyer unilatéralement la jouissance exclusive du bien indivis et priver ses frère et sœur de leur droits.

Le dernier alinéa de l'art. 815-9 prévoit que l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est sauf convention contraire, redevable d'une indemnité.
En l'espèce, pas de convention. Par ailleurs, la jouissance en prive les autres indivisaires (puisqu'ils ne peuvent y entrer…). L'indemnité qui relève de l'appréciation du juge sera probablement fixée en fonction de la valeur locative du bien (Civ. 1ère, 17 février 2004).

  • L'intervention du vétérinaire pour un chat : Le chat en question fait partie de la masse indivise. Blessé, celui-ci a du être soigné par un vétérinaire. L'initiative a été prise par Léandre.
Il s'agit d'un acte conservatoire, c'est-à-dire qui a pour objet d'empêcher la perte matérielle de la chose.
L'art. 815-2 dispose que chaque indivisaire peut passe seul les mesures conservatoires et d'employer à cette fin les fonds indivis qu'il détient ou de contraindre les coïndivisaires à faire avec lui les dépenses nécessaires.
Cet acte profitant à tous les copropriétaires, les frais sont mis à la charge de tous. La facture du vétérinaire devra donc être prise en charge par l'ensemble des indivisaires.

  • Les chatons mis en vente sur internet : Les chatons constituent des fruits naturels. L'article 815-10 prévoit que les fruits et revenus font partie de l'indivision et seront distribués aux indivisaires, au moment du partage, en fonction de leurs droits au sein de l'indivision. En l'espèce, 1/3 chacun.
Dans le cas, où Ivan venait à vendre ses chatons.
L'art. 815-3 requiert l'accord de l'ensemble des indivisaires pour effectuer un acte de disposition. Théoriquement, la sanction d'un acte passé irrégulièrement est inopposable aux indivisaires non consentants ; sauf si le bien indivis cédé est mis dans le lot de celui qui a passé l'acte lors du partage. Vu la masse indivise, on peut penser que, durant les opérations de partage, cette solution sera privilégiée.

lundi 12 mars 2012

Droit des biens - Contentieux de la propriété

1° la compétence du juge judiciaire dans les conflits de propriété entre personnes privées et entre une personne publique/une personne privée :
- Principe de dualité juridictionnelle : ordre administratif/ordre judiciaire.
- Atteintes à la propriété portées devant le juge judicaire, juge naturel de la sauvegarde des libertés fondamentales (DC, 4 juillet 1989 = PFRLR)
- Mais, limitations du pouvoir du juge judiciaire : compétent uniquement si l’administration a commis une emprise irrégulière ou une voie de fait + compétence depuis la loi du 30 juin 2000 du juge administratif qui a la faculté d’ordonner, en urgence, les mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale dans le cadre du référé liberté (CE, 2 juillet 2003, Société Outremer Finance Limited. Admission du référé liberté pour la sauvegarde du droit de propriété).


2° L’action en revendication :
Cas où le propriétaire d’un bien est privé de la possession de son bien par un tiers. Il peut alors intenter une action en justice contre le tiers afin de reprendre le bien qui lui appartient (action en revendication).
a° l’action en revendication d’un meuble

2 situations :

- A est propriétaire d’un bien. Il confie son bien à B, lequel cède ce bien à C. A entreprend une action en revendication contre C pour récupérer son bien. Solution donnée par l’art. 2276 : « en fait de meubles, la possession vaut titre ». L’action en revendication ne peut donc aboutir.

- A est propriétaire d’un bien. Il remet son meuble à B. Après un certain temps, A veut récupérer son bien. B refuse. A exerce donc une action en revendication. Même solution que précédemment. Il peut néanmoins tenter de renverser la présomption de l’art. 2276 en démontrant 1° que B est un détenteur précaire (que A lui a par exemple simplement prêté), 2° que la possession est viciée, c’est-à-dire qu’elle clandestine ou équivoque, ou 3° que le possesseur est de mauvaise foi.

b° l’action en revendication d’un immeuble :

A est propriétaire d’un immeuble, mais c’est B qui en le possesseur actuel, présumé propriétaire jusqu’à preuve contraire.

La preuve exigée du demandeur :

• Moyens de preuve : usucapion, possession ou titre.
• La force probante des moyens de preuve :
o Usucapion : présomption irréfragable
o A se prévaut d’une possession ancienne de l’immeuble, B de sa possession actuelle : le juge tranche en faveur de la possession la mieux caractérisée (Civ. 1ère, 3 décembre 1959)
o A se prévaut d’un titre et B de sa possession actuelle : si le titre est antérieure à la possession, A l’emporte
o A se prévaut d’une possession ancienne et B d’un titre : B l’emporte (Civ. 1ère, 8 novembre 1954)
o A et B produisent chacun un titre. Si les titres ont un auteur commun, les règles de la publicité foncière s’appliquent. Si les titres ont des auteurs différents, préférence donné au titre le meilleur et le plus probable (Civ. 12 novembre 1907).

L’éviction du défendeur :

Cas où le demandeur a obtenu gain de cause. Un jugement l’a déclaré propriétaire du bien litigieux. Le défendeur, dit « évincé » doit restituer le bien au demandeur. On procède également à un règlement de comptes.
- Les prestations dues par le possesseur évincé :
o Restitution des produits ou accessoires
o Le reste des prestations dues dépend de la bonne foi du possesseur (art. 549 et 550). S’il est de mauvaise foi, il est tenu de restituer les fruits, déduction faite des dépenses qu’il a réalisées pour les obtenir. Au contraire s’il est de bonne foi, il n’a pas à restituer les fruits (Civ. 1ère, 20 juin 1967).

- Les prestations dues au possesseur évincé :
o Indemnisation des travaux réalisés (théorie des impenses)
o Distinction entre impenses nécessaires (remboursement), utiles (remboursement dans la limite de la plus-value réalisée ; choix coût des travaux ou plus-value) et somptuaires (pas de remboursement mais le possesseur évincé a la faculté « d’enlever » les travaux réalisés à condition de ne pas dégrader l’immeuble).



Correction cas pratique n° 2

1° M. Montprécieux découvre que l’un de ses immeubles est habité depuis plus de dix ans par M. Tranquille, lequel a réalisé un certain nombre de travaux. Il souhaite savoir s’il peut exercer une action judiciaire pour récupérer son bien. Il aimerait également connaitre le sort des différentes améliorations apportées par M. Tranquille à son domaine.

La difficulté du cas pratique tient ici au fait que M. Montprécieux se dit propriétaire d’un immeuble, actuellement en possession de M. Tranquille. Devant un tel conflit, le propriétaire du bien revendiqué peut exercer une action devant le juge judiciaire afin d’obtenir la restitution du bien litigieux. Il s’agit de l’action en revendication.

Modalités de l’action : juridiction compétente : TGI + délai pour agir : aucun puisque l’action en revendication est imprescriptible (art. 2227).

Distinction action en revendication mobilière et immobilière. En question, ici un domaine situé en Ardèche. En vertu de l’art 518 C. Civ, il s’agit d’un immeuble. Donc exercice d’une action en revendication immobilière.

M. Montprécieux doit alors apporter la preuve de sa propriété. Il dispose d’un acte notarié, lequel a fait l’objet d’une publication au Bureau des hypothèques. Par ailleurs, une dizaine de personnes peuvent attester de son droit de propriété. Il dispose donc d’un titre de propriété conforme.
A l’opposé, M. Tranquille indique qu’il s’est installé au domaine en 1999 après que le fils de M. Montprécieux lui ait affirmé que bien que cette maison appartenait à son père, il pouvait se l’approprier sans que ce dernier ne s’en aperçoive et ne vienne lui demander des comptes. M. Tranquille ne dispose donc d’aucun titre de propriété. Peut-il néanmoins se prévaloir de l’usucapion ?

Les conditions de l’usucapion reposent sur la possession et le temps.
La possession doit être paisible, continue et non équivoque (2261). En l’espèce, pas de difficulté.
Ensuite, le temps pour acquérir un immeuble est de 30 ans (2272), abaissé à 10 ans si le possesseur a un juste titre et s’il est de bonne foi (2265). En l’espèce, M. Tranquille habite le domaine depuis plus de 10 ans. Il ne peut néanmoins se prévaloir de la prescription abrégée puisqu’il ne dispose d’aucun titre translatif. Et, il sait qu’il n’est pas le véritable propriétaire du domaine (cf. les propos du fils de M. Montprécieux), il ne peut donc être considéré comme de bonne foi.
Il en découle que ne pouvant se prévaloir ni d’un titre, ni de l’usucapion, M. Tranquille ne pourra faire valoir devant le juge que sa possession actuelle de l’immeuble. Face à cela, le juge fera primer le titre de propriété de M. Montprécieux antérieur à la possession actuelle de M. Tranquille.

Le premier sera donc déclaré propriétaire du bien litigieux. Le second, « évincé » devra restituer le bien au demandeur. On procèdera alors à un règlement de comptes, qui va permettre de répondre à la seconde interrogation de M. Montprécieux sur le sort des différentes améliorations faites par M. Tranquille.
Le principe est que le possesseur évincé restitue au propriétaire l’immeuble avec ses produits et accessoires. Les fruits dépendant la bonne foi du possesseur (550). Ce dernier peut également obtenir remboursement des différentes dépenses effectuées. Soit sur le fondement de la théorie des impenses, soit en se fondant sur l’art 555. Recensons chacune d’entre elles :
- Aménagement de la bergerie : distinction entre les dépenses nécessaires (pour conserver l’immeuble), utiles (pour l’améliorer) et somptuaires. On peut considérer ici qu’il s’agit d’une dépense utile, puisque l’aménagement de la bergerie permet d’y vivre. La dépense utile permet au bien de prendre de la valeur. Il ne s’agit a priori pas d’une dépense nécessaire. M. Montprécieux a donc le choix entre le remboursement des travaux ou plus-value réalisée grâce à cette amélioration. Idem pour le changement des serrures,

- Pour les infrastructures permettant la production du fromage et de la crème de marron et pour les chèvres et le jacuzzi : il s’agit de construction. Mise en jeu de l’accession artificielle prévue à l’art. 555. Mauvaise foi du constructeur, donc option pour M. Montprécieux (détailler…).

- 50 kg de crèmes de marrons : il s’agit de fruits industriels (art. 583 al 2). Sort des fruits suite à une action en revendication défini à l’art. 549. Si le possesseur est de mauvaise foi, il est tenu de restituer les fruits, déduction faite des dépenses qu’il a réalisées pour les obtenir. Au contraire s’il est de bonne foi, il n’a pas à restituer les fruits (Civ. 1ère, 20 juin 1967). En l’espèce, mauvaise foi (cf. démonstration précédente), donc restitution des 50 kg de crèmes de marrons.

2° M. Montprécieux indique également avoir perdu, en 2008, une montre sur laquelle ses initiales sont gravées. Or, il l’a aperçue au bras de son notaire qui indique l’avoir acheté en 2009 dans un marché aux puces. Il souhaite récupérer sa montre.

Distinction action en revendication mobilière et immobilière.

En l’espèce, il s’agit d’une montre, donc d’un meuble. Action en revendication mobilière à mettre en jeu.

Selon l’art. 2279, en fait de meubles, la possession vaut titre. Autrement dit le seul fait de posséder le bien présume de la propriété de celui-ci.

L’alinéa 2 du même texte précise toutefois que celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient.

Une action en revendication mobilière est donc ouverte dans le délai de 3 ans en cas de perte ou de vol de la chose. En l’espèce, M. Montprécieux a perdu sa montre en 2008, soit il y a plus de 3 ans. Le délai d’action est donc prescrit. L’intéressé ne peut donc agir sur ce fondement pour récupérer sa montre.

Toutefois, la jurisprudence a précisé que le délai de 3 ans ne s’appliquait pas au possesseur de mauvaise foi (jurisprudence établie).
En l’espèce, M. Montprécieux devra apporter la preuve de la mauvaise foi de son notaire : profession, initiales sur la montre, achat d’une montre Rolex dans un marché aux puces…
Notons que l’article 2277 dispose que si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue l’a achetée dans une foire ou dans un marché, le propriétaire originaire peut se la faire rendre à condition de remboursant au possesseur le prix qu’elle lui en coûté. Or, la jurisprudence n’inclut pas dans la notion de « marché », les marchés aux puces. Cette règle ne pourra donc pas être mise en œuvre.

Droit des obligations – Eléments de commentaire Civ. 1ère, 12 juillet 2007

1 – Absence de faute dans le défaut d’utilisation d’un moyen de contraception

A - Analyse du comportement de la prétendue victime

Analyse de la faute : la cour de cassation se concentre uniquement sur le comportement du demandeur.
« Ayant librement consenti à avoir avec Mme Y un rapport sexuel non protégé dès leur première rencontre »
« Homme sexuellement expérimenté »
« A qui il incombait… »

Explications :
- particularisme de la situation, il faut être deux pour faire un enfant… Donc la faute de l’un a à voir avec celle de l’autre !
- difficulté pour la Cour de s’intéresser au comportement de la mère de l’enfant ici : éventuelle faute ? Défaut d’information ?...

B- Une occasion manquée

Il ne s’agit certainement pas d’une solution de principe. La Cour se borne à donner une réponse factuelle. Elle aurait pu dire plus clairement que le défaut d’utilisation d’un moyen de contraception ne constitue pas en soi une faute.

Elle rejette le pourvoi pour appréciation souveraine des juges du fond mais se sent néanmoins obligée de motiver sa décision.
Il en découle donc un affaiblissement de la portée de la décision.
Formule : « homme sexuellement expérimenté » : problème de définition du périmètre de l’expérience. A contrario, l’inexpérience d’un pourrait dans le même cas révèlé une faute de la part de la mère de l'enfant?
En réalité, la Cour fait reposer sa décision sur les circonstances de l’espèce. On peut imaginer des cas où le défaut d’utilisation d’un moyen de contraception constituera une faute. Cf. Par exemple le fait de ne pas utiliser de contraceptif peut constituer une faute en matière de transmission volontaire du HIV (Crim. 10 janvier 2006).
Après avoir rejeté l’idée d’une faute commise par la mère, la Cour s’intéresse ensuite sur l’existence d’un préjudice réparable.


 
2 – Absence de préjudice réparable dans la naissance non désirée d’un enfant
Inexistence d'un préjudice direct ou indirect indemnisable pour la Cour

A - La motivation du père
L'absence de préjudice peut se déduire de l'artifice employé par le demandeur qui, en réalité, entend faire échec à la décision précédemment rendu. Faire reconnaitre la faute de la mère et la présence d'un préjudice : stratégie. La Cour de cassation n’est ici pas naïve.
Mais c’est oublier que le droit de l’enfant à établir sa filiation et à aliments est d’une part indépendant de toute responsabilité de la mère (la Cour aurait pu reconnaitre une faute de la mère sans que cela n’ait d’incidence sur l’établissement judiciaire de la filiation paternelle et la condamnation de M. à verser une pension alimentaire à son enfant…).

B - Une confirmation que la naissance d'un enfant n'est pas un préjudice

Cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel et législatif qui commence à se densifier :
- L’IVG raté n'ouvre pas droit à indemnisation de la mère (Civ. 1ère, 25 juin 1991)
- Naissance de l'enfant handicapé : « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance » (art. L 114-5 du Code de l’action sociale et des familles). Cette règle remet en cause l’arrêt Perruche (Plén, 17 novembre 2000).

La naissance n’est pas une tare.
Droit responsabilisant. Les individus doivent assumer...

jeudi 8 mars 2012

Séance 15 droit des obligations - Commenter l'arrêt Civ. 2ème, 28 mars 2002

Séance 6 droit des biens - Faire le cas pratique n°2

Entretien réalisé pour le Grand Lyon sur les solidarités familiales

Auteur : Younes BERNAND

Date : 12/01/2012

Entretien réalisé pour le GRAND LYON, par Sylvie Mauris-Demourioux, le 12 janvier 2012
http://www.millenaire3.com/Younes-Bernand-En-droit-suedois-la-solidarite-f.122+M5ffc287c355.98.html
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Comment définiriez-vous la solidarité familiale ?

En droit, la famille est le lieu naturel des solidarités. La famille est un ensemble de liens d’alliance, horizontaux, et de liens de parenté, verticaux. Ces liens sont les fondements des solidarités familiales dont les modalités et le champ d’application sont définis par le Code Civil. L’impératif d’entraide entre les membres d’une famille repose ainsi, d’une part sur le principe de solidarité matrimoniale entre conjoints de l’article 220 du Code Civil (étendu depuis peu aux Pacs) et, d’autre part sur le principe de solidarité entre ascendants et descendants de l’art. 205. Juridiquement, la notion de solidarité a un sens spécifique car elle permet de déterminer qui paie. Ce principe de solidarité matrimoniale rend les époux solidaires des dettes contractées par l’un d’entre eux dès lors que cela concerne les charges familiales, c’est-à-dire les charges ménagères ou d’éducation. D’ailleurs, lors de l’adoption de la loi du 1er juillet 2010 sur le crédit à la consommation et le surendettement, le législateur a tenu à rappeler aux époux leurs obligations en matière de solidarité en imposant la lecture de cet article lors de la cérémonie du mariage. On est donc loin de la seule symbolique de l’art 112 obligeant à fidélité, secours et assistance ! Il ne faut pas oublier que la famille implique aussi des relations d’argent et que ce sont elles qui cristallisent la plupart du contentieux. Par exemple, dans les actions relatives à la filiation, la motivation est le plus souvent d’ordre successoral… L’article 205 instaure par ailleurs une obligation alimentaire envers les ascendants, sorte de contrepartie de ce que les parents ont fait pour leurs enfants, dès lors que le besoin se fait sentir. Concrètement, cela englobe une aide pour se nourrir, se loger, se vêtir… Ce devoir d’assistance s’impose aux enfants mais aussi aux gendres, brus et beaux-parents. Entre les grands-parents et leurs petits-enfants, cette solidarité est subsidiaire et ne s’applique que si le parent le plus proche n’est pas en mesure de le faire. En revanche, il n’y a pas de solidarité diagonale avec les oncles, les tantes, les cousins, ni même plus étonnant encore entre frères et sœurs… Quelle que soit sa situation et la vôtre, vous ne pourrez jamais évoquer les liens du sang pour bénéficier d’une quelconque solidarité. Ces solidarités sont une construction purement sociale et il est possible d’imaginer d’autres systèmes juridiques instaurant une solidarité familiale intégrale dès lors qu’il existe des liens de sang voire de famille.
Ces solidarités familiales ont-elles connu beaucoup de changements ?
Oui. En trente, quarante ans, la famille a énormément évolué. Jusque dans les années 70, la famille est fondée sur le mariage. Elle repose sur la puissance maritale et la prépondérance de l’époux, reconnu comme le chef de famille. En créant la famille, le mariage la légitime. Au début des années 60, 97 % des couples sont mariés et seulement 10 % des mariages conduisent à un divorce. La filiation naturelle (hors mariage) ou les unions libres restent à la marge. La phrase de Napoléon « les concubins se passent de la loi, la loi se désintéresse d’eux » résonne donc encore au XXème siècle ! Avec la libéralisation des mœurs, dont le mouvement s’opère véritablement après les évènements de Mai 1968, le mariage est de plus en plus concurrencé par le concubinage. Actuellement,en France, 12 millions de personnes sont mariées, 600 000 pacsées et 3 millions vivent en concubinage.

Le Pacs a été un moyen de reconnaitre légalement de nouvelles formes d’alliances et de solidarité ?

Créé en 1999, le Pacs est un contrat conclu entre deux personnes majeures du même sexe ou de sexe opposé afin d’organiser leur vie commune et leurs intérêts pécuniaires. Certains avaient même envisagé la possibilité d’ouvrir ce dispositif au-delà du couple, entre frères et sœurs par exemple, dans un pacte d’intérêt commun, mais l’idée a été écartée par le législateur, préférant instituer une nouvelle forme de vie en couple. En fait, cela a surtout permis de repousser la question du mariage homosexuel et, effectivement, au début, 60% des Pacs sont des unions homosexuelles tandis qu’aujourd’hui, elles ne représentent plus que 5 % ! Actuellement, la tendance est à l’uniformisation des différents modes de conjugalité et la réforme du 23 juin 2006 a notamment étendu les principes de solidarité matrimoniale du mariage au Pacs. C’était encore une fois une manière de repousser la discussion autour du mariage homosexuel tout en dotant ces unions d‘un objet quasi-similaire au mariage. Mais c’est oublier que le Pacs est un contrat de couple dont les effets sont exclusivement horizontaux. Il ne crée aucun effet particulier sur la filiation ! A terme, vu le processus d’affaiblissement du mariage et celui de matrimonialisation du Pacs, deux solutions s’offrent à nous : soit l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, soit le transfert intégral des droits du mariage sur le pacs. C’est à dire de faire du Pacs, non seulement un contrat de couple, mais aussi un contrat de famille. C’est ce que semblent suggérer la Cour de Justice de l’Union Européenne et la Cour européenne des droits de l’homme qui considèrent que, dès lors qu’il y a un engagement de couple fondé sur un engagement public, célébration devant l’officier d’état civil pour le mariage et enregistrement au tribunal d’instance ou devant notaire pour le Pacs, les statuts doivent être alignés.

Finalement, bien que la notion de solidarité ait été inscrite au cœur même du Pacs dès l’origine, elle n’est effective que depuis 2006 ?

Tout à fait. L’instauration de ce devoir de solidarité a eu d’ailleurs un effet très intéressant et inattendu puisque, suite à cette loi, le nombre de dissolutions a doublé. Jusque là, le rythme des dissolutions avait progressé assez lentement mais la loi de 2006 a clairement accéléré le processus. En 2007, il y a eu environ 22 000 dissolutions contre 10 000 en 2006 ! On peut penser que les personnes qui se pacsaient ne voulaient pas d’un contrat qui les unisse comme le fait le mariage. Conclu dans des régions urbaines, plutôt ouvertes, le Pacs semble motiver les couples plus pour ses avantages fiscaux ou en matière de rapprochement de partenaire dans la fonction publique que comme moyen d’inscrire son couple dans le temps. Actuellement, il y a toujours environ 25 000 dissolutions annuelles et, fait intéressant, quasiment aucun contentieux.

 
Donc le mariage serait la forme choisie par ceux qui veulent instaurer une vraie solidarité entre eux, assise sur un engagement à long terme ?
Oui, le mariage reste le modèle familial le plus protecteur même si le législateur tend à libéraliser le droit de la famille et à le reconstruire autour de l’individu. Le droit de la famille est devenu un droit pluraliste et ouvert par lequel les individus peuvent choisir la forme d’engagement qui leur convient le mieux. Une évolution que le doyen Gérard Cornu qualifiait de «révolution tranquille ». Le couple parental est devenu plus égalitaire : la notion de chef de famille est supprimée et l’autorité parentale est désormais partagée entre les parents. Une disposition de 2001 améliore considérablement la situation du conjoint survivant, alors qu’il était auparavant écarté au profit des liens de sang ; ce qui tend à renforcer l’idée d’éternité de l’engagement marital. Pourtant, si d’un côté ces liens d’alliance sont renforcés, de l’autre ils sont affaiblis par l’évolution du divorce au travers de la loi du 26 mai 2004. Tout d’abord, elle crée un véritable droit au divorce, même en cas de refus de l’autre époux. Finalement, le droit français reconnait une forme de répudiation, égalitaire certes, à l’instar du droit musulman. Elle affaiblit aussi les solidarités post-matrimoniales. Il n’y a plus de pension alimentaire pour l’époux mais seulement pour les enfants. Le divorce met fin au devoir de secours. L’époux peut toujours prétendre à la prestation compensatoire qui vise à compenser les disparités nées de la rupture, mais là aussi, les choses se nivellent. Auparavant, cette prestation permettait de réparer le dommage moral que l’époux fautif avait causé à son conjoint, mais aussi de le sanctionner puisqu’il ne pouvait y prétendre. Dorénavant, les causes de la séparation sont déconnectées des effets. La faute n’implique pas forcément une compensation, seule est prise en compte la situation d’inégalités. Dès lors que la rupture entraîne une disparité dans les conditions de vie commune, celui qui est désavantagé peut légitimement demander l’octroi de cette prestation, qu’il soit fautif ou non. Cette prestation est versée sous forme de rente ou de capital. Les juges ont longtemps privilégié la rente mais le législateur les incite dorénavant à la verser sous forme de capital et de solder ainsi les comptes ! Ces ruptures sèches sont de plus en plus fréquentes. Suite à une enquête menée par le Centre de droit de la famille au Tribunal de Grande Instance de Lyon, il apparaît que le nombre de prestations compensatoires sollicitées et prononcées par les juges aux affaires familiales est finalement assez faible. Avec cynisme, nous pourrions dire que le mariage devient un Pacs comme les autres et certains juristes plaident même pour l’adoption d’un divorce purement contractuel confié au notaire et non plus au juge. Je pense que cela serait désastreux car le divorce reste un rapport de forces et les juges me semblent plus à même de garantir les intérêts des parties en présence, notamment des enfants.
Le concubinage a-t-il bénéficié de ce mouvement d’uniformisation ?
Non. La loi de 1999 a inscrit le concubinage dans le Code civil sans créer pour autant un statut du concubin. Même si cela ouvre certains droits sociaux ou en matière de fixation du lieu et du mode de sépulture (en l’absence de choix précis du défunt), aucune solidarité n’est prévue. Les concubins ne se doivent rien. Il n’y a ni solidarité ménagère, ni droits successoraux. Ainsi, le conseil constitutionnel a récemment estimé que la pension de réversion versée aux veufs et veuves est exclusivement l’apanage des couples mariés qui se sont engagés dans la durée.

L’évolution des situations familiales avec l’augmentation des divorces mais aussi du nombre de familles monoparentales a-t-elle modifiée la manière dont les solidarités s’exercent ?
Je dirais qu’un des effets les plus marquants de cette fragilisation de la famille est l’appauvrissement qu’elle induit. Cela se traduit par la hausse du contentieux notamment en matière de versement de pension alimentaire. Mais cela a eu des impacts positifs pour les grands-parents dont le rôle est de plus en plus important. Certains auteurs parlent de « printemps » des grands parents. Au-delà d’une simple médiation, ils remplissent un vrai rôle social, transmettent des valeurs… Le droit évolue doucement et vient récemment de consacrer un droit de l’enfant à entretenir des liens avec ses grands-parents si cela est conforme à son intérêt.

 
Y-a-t-il eu aussi une uniformisation des solidarités en matière de filiation ?
Oui, depuis 2005, il n’y a plus de distinction entre l’enfant légitime et l’enfant naturel. Il y a une égalisation des filiations qu’elles s’établissent dans le cadre du mariage, du Pacs ou du concubinage. En mariage, le père bénéficie toujours de la présomption de paternité tandis que dans les autres cas, il doit reconnaitre l’enfant mais ce sont des différences finalement devenues mineures. En fait, le grand défi auquel ces solidarités sont confrontées est celui de l’allongement de leur durée. D’un côté, les parents doivent subvenir aux besoins des enfants plus longtemps et de l’autre, les parents vivent plus vieux. En 2050, la France comptera 70 millions d’habitant dont un tiers aura plus de 60 ans. Ca plante le décor !

De quelle manière le droit a-t-il anticipé ce vieillissement de la population ?

Malheureusement, pour le moment, la question du vieillissement est essentiellement abordée sous l’angle financier. Bien sûr, c’est un aspect important mais la problématique du vieillissement dépasse très largement le seul cadre pécuniaire. Dans nos démocraties d’opinion, la vision que l’on a des personnes âgées est celle que l’on a construite et voulue construire. Pour l’instant, les personnes âgées sont assimilées à la dépendance, la sénilité, la dépense. On les dit de droite, conservatrices, elles sont sommées de rester jeunes. Cette construction idéologique est une erreur et va poser de vrais problèmes. Il ne s’agit pas de valoriser ou d’embellir le vieillissement, mais d’avoir une approche globale. Or, le report du débat sur la dépendance, au moment où il faudrait justement réfléchir à cette construction sociale et juridique du grand âge, me laisse assez pessimiste. Quant aux juristes, ils ne s’y intéressent véritablement que depuis une dizaine d’années. De nouveaux outils juridiques ont été imaginés par la pratique. De son côté, la Cour de cassation a produit un certain nombre de textes sur la santé et la vulnérabilité. Mais pour le moment, le droit reste largement inadapté. Sur la question de la dépendance par exemple, le Code civil en a une vision trop aliénante.

 
C’est-à-dire qu’il assimile les personnes âgées dépendantes aux incapables ?
En fait, le régime de l’incapacité a été réformé en 2007 pour mieux prendre en compte le vieillissement. Il fallait trouver un juste milieu qui permette aux personnes âgées de pouvoir prendre certaines décisions dans les domaines dans lesquels elles ont encore leur lucidité et aux familles d’assister leurs proches. Au titre de cette loi, la protection des personnes vulnérables relève à la fois du devoir des familles et de la collectivité publique. Le législateur a voulu associer plus fortement la famille tout en gardant à l’esprit que la famille est aussi un champ de rapports de force avec des enjeux de patrimoine, d’héritage. Il serait donc dangereux que la solidarité envers les personnes vulnérables repose uniquement sur la famille.

Est-il possible de parler actuellement d’une profonde remise en question de l’articulation entre solidarités familiales et collectives ?

En fait, depuis la Révolution française, notre droit érigeait la solidarité familiale en tant que solidarité première. La solidarité collective était subsidiaire, elle n’intervenait qu’en cas de défaillance de la famille. Cette articulation reposait sur la crainte qu’une solidarité collective trop forte conduise à déresponsabiliser les membres de la famille. La Rochefoucauld écrivait à ce propos : « L’admission trop facile des vieillards dans les établissements hospitaliers relâche, quand elle ne les détruit pas, les liens de famille. Elle déshabitue les enfants du devoir de nourrir et de soigner leurs parents vieux et infirmes ; les parents, eux-mêmes, dans la pensée d’enlever une charge de leurs enfants, en arrivent à considérer l’hospice comme un asile où il est naturel de terminer nos jours. » Il a fallu attendre le préambule de la Constitution de 1946 pour inverser ce paradigme : la solidarité nationale devient un principe constitutionnel. Le principe de subsidiarité s’efface au profit de la complémentarité. Cela signifie que des aides sont versées sans tenir compte du potentiel financier des proches. Actuellement, la solidarité nationale, collective, fléchit au profit de solidarités de proximité, collectives ou privées, de solidarités associatives, mutualistes ou assurantielles, avec un renouveau du principe de capitalisation. L’Etat s’appauvrit et se décharge de ses missions sur les collectivités. Ces transferts de pouvoir ne sont pas anodins, ils sont aussi politiques. La droite gère l’Etat et la gauche les collectivités. Obliger les collectivités à augmenter la pression fiscale peut être aussi un moyen de montrer qu’elles sont mal gérées… C’est un jeu politique, au sens le moins noble du terme, assez malsain sur ces questions importantes. Dans tous les cas, cela conduit à l’appauvrissement des acteurs locaux, notamment des collectivités contraintes d’augmenter la pression fiscale ou de transférer à leur tour des solidarités sur d’autres acteurs de proximité comme les associations ou les familles. Or, comme je le disais tout à l’heure, les familles sont fragilisées, et le contexte économique actuel n’arrange rien.


Y-a-t-il des expériences intéressantes à l’étranger sur la prise en charge du vieillissement ?
En droit suédois, la solidarité familiale des descendants à l’égard des ascendants s’efface au profit de la solidarité collective. La collectivité prend en charge la solidarité matérielle et laisse aux descendants la charge de la solidarité affective. L’objectif est d’épurer les relations de famille des obligations alimentaire et des questions d’argent. Les enfants et petits-enfants n’ayant à sa soucier que du bien-être et des relations affectives avec leurs aînés seraient plus à même de les accompagner en fin de vie ou dans le grand âge. En France, cette question de la fin de vie me semble très mal traitée. Pourquoi ne pas la valoriser comme l’est le début de la vie avec l’octroi de congés maternité et paternité ? Aujourd’hui, le congé de solidarité familiale permet à une personne salariée de prendre un congé sans solde de 3 mois renouvelable une fois pour s’occuper d’une personne en fin de vie, ascendant ou descendant. Un rapport avait conclu que ce système conduisait à l’appauvrissement des accompagnants. Pour contrer cela, les personnes recouraient aux congés maladie. Notre société a financé l’accompagnement des personnes en fin de vie par la maladie alors qu’il aurait fallu créer une véritable politique de l’accompagnement. Avec la relance du débat autour de l’euthanasie, une allocation journalière des personnes en fin de vie a été mise en place. D’une durée de 21 jours, elle est rémunérée au smic afin de permettre à un proche d’accompagner un mourant. Lors des débats parlementaires, Roselyne Bachelot, alors Ministre des solidarités, avait exclu l’hypothèse d’une telle indemnisation lorsque la personne était à l’hôpital afin de privilégier les accompagnements à domicile. In fine, c’est bien un souci de rationalisation des finances publiques qui l’emporte, peu importe le coût psychologique et matériel pour les familles. Ce qui importe, c’est de vider les hôpitaux ! Finalement c’est une préoccupation primordiale et par la-même un principe constitutionnel qui sont remis en cause par des impératifs budgétaires, par la logique néolibérale du moindre coût. Sur ce point, je vous invite à lire les travaux d’Antoine Garapon.

Dans cette réflexion, l’Europe a-t-elle son mot à dire ?

Oui, l’Union européenne pousse à l’uniformisation des droits nationaux. Contrairement au droit international privé qui fait en sorte que tous les droits puissent s’appliquer, cette «harmonisation » conduit à terme exactement à l’inverse avec la création d’un droit standardisé, unique et applicable dans tous les pays. Sous couvert de simplification, de modernisation et de rationalisation, c’est en fait une logique néolibérale (celle du moindre coût) qui est à l’œuvre. La Cour Européenne des Droits de l’Homme considère ainsi que, dès lors qu’il y a un consensus européen sur une question, elle est en mesure de créer une jurisprudence qui va s’imposer à tous les États-signataires. Malheur à ceux qui n’ajusteront pas leur législation sur sa jurisprudence ! Prenons le mariage des couples homosexuels : la Cour ne s’interroge pas sur les valeurs ou les enjeux juridiques que cela impliquerait, mais sur le nombre d’États européens qui ont adopté le mariage homosexuel. Actuellement, ils sont une minorité donc elle laisse aux Etats une marge d’appréciation. Si le nombre d’États augmente, on peut imaginer qu’elle enjoindra les nations récalcitrantes à ouvrir leur législation. Récemment, elle s’est attaquée à notre droit de la filiation en affirmant, dans plusieurs décisions, que rien ne peut remettre en cause la possibilité pour un enfant d’établir sa véritable filiation biologique, peu importe le temps passé. Elle défend une vision biologique de la filiation. Or, chez nous, la filiation repose sur une vérité biologique et une vérité sociologique. Reconnaître un enfant et/ou se comporter comme son parent ouvre des droits. Si la vision de la Cour l’emporte, cette filiation sociologique pourrait être annulée au profit de la nouvelle filiation. C’est important de chercher à améliorer les systèmes juridiques et de s’inspirer des solutions trouvées ailleurs mais il faut veiller à ce que cela ne soit pas contre culturel. Les droits nationaux sont le fruit d’une histoire, d’une culture, d’une tradition. Ils reflètent la manière dont chaque société appréhende le réel et y répond. Il faut se méfier de cette volonté de modernité : le droit n’a pas à être moderne, au sens de « plus récent que », cela n’a vraiment pas de sens !

Y-a-t-il une tendance à vouloir temporaliser le droit ?

Oui. Dans une logique individualiste et libérale, le droit tend à répondre aux revendications individuelles et communautaires. C’est le « droit à la carte » que l’on retrouve au niveau international avec la pratique du forum shopping (on choisit la loi du pays qui nous est la plus favorable). Pourtant, le droit doit au contraire s’inscrire dans une logique holiste et viser l’intérêt général et la satisfaction du bien commun. Sur la question des solidarités, il a tendance à ériger les liens affectifs actuels comme fondement de nouvelles solidarités. Or, comme l’a montré notamment Sigmunt Bauman, les relations humaines sont de plus en plus liquides. Et je pense qu’il est dangereux de fonder un droit, une institution sur quelque chose de potentiellement fragile, instable, peu pérenne. Le danger est de faire apparaitre un droit désincarné et désinstitutionnalisé. La famille traditionnelle constituait un pôle de stabilité, étrangère au temps, et logiquement tous les droits découlaient d’elle. Avec l’affaiblissement du mariage, notre système de solidarité tend à reposer sur le couple parental et sur la filiation. Il y a un déplacement de la durée du couple conjugal sur le couple parental qui lui survit. Cette solidarité est a priori insubmersible. Je me méfie des projets de créer des liens de droit au sein des couples recomposés, au motif qu’il existe des liens affectifs. Actuellement, même si ces liens reposent sur une solidarité de fait, ils ne créent aucune solidarité juridique. Certaines propositions veulent aller dans ce sens, notamment par la création d’un statut du tiers qui permettrait de déléguer au beau-parent, une partie de l’autorité parentale. Les conditions d’octroi seraient assez souples, négociées sur une base contractuelle entre les adultes concernés puis soumises au juge pour homologation. Mais qu’apporte vraiment cette solution ? Un risque de doublon avec le parent qui vit éloigné, de la complexité car rien n’indique que le couple recomposé sera plus solide que le premier… Dans les faits, beaucoup de choses peuvent être faites sans passer par un tel contrat et, dans les situations extrêmes comme le décès du parent, le juge tient compte de l’intérêt de l’enfant et des liens affectifs noués. Il peut donc parfaitement confier l’exercice de l’autorité parentale au beau-parent. En conclusion, je dirais que le débat reste totalement ouvert. Quels seront les nouveaux modes de solidarité ? Qui va financer ? C’est à nous de réfléchir !

lundi 5 mars 2012

Eléments de méthodologie du commentaire d’arrêt

Importance de la structure de l'arrêt (permet d'identifier à la première lecture de quel type d'arrêt il s'agit) :
  • Arrêt de rejet : ne contient pas de visa. En principe articulés en trois attendus (1° faits « attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué… », 2° arguments de droit invoqués au moyen du pourvoi « attendu qu'il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir ainsi statué alors… », 3° rejet : « mais attendu que … ».
  • Arrêt de cassation : comporte un visa. En principe articulé en trois attendus (1° règle de droit et le principe dégagé par la Cour de cassation « Vu… Attendu qu'il résulte de ce texte… », 2° Faits, prétentions et solution de la Cour d'appel « Attendu selon l'arrêt attaqué… », 3° conclusion « attendu qu'en se déterminant ainsi… ».
     
Lecture attentive : au moins trois lectures recommandées pour bien comprendre l'arrêt. Temps de lecture important (permet de gagner du temps ensuite…). Ne pas oublier que le commentaire se construit à partir de l'arrêt…
Identifier les différents temps de l'arrêt, du raisonnement juridique (au besoin en soulignant les structures). Bien faire apparaitre l'enchainement des idées. Reportez au brouillon le plan de l'arrêt en distinguant l'élément de fait ou de droit autour duquel est articulée la phase de raisonnement du juge (à l'aide au besoin d'une fiche d'arrêt sommaire).

 
Recherche des éléments de réponse :
1° procéder d'abord au recensement des informations contenues dans l'arrêt (date, juridiction, textes visés).
2° relever ensuite les problèmes qui se rapportent de près ou de loin à l'arrêt. Domaine juridique de la décision.
3°mener enfin une réflexion sur la valeur et la portée de la décision (arrêt d'espèce ou de principe.

 
Elaboration du plan :
Principes à respecter :
1° enchainement des idées, liens logiques
2° place à accorder à la question centrale de l'arrêt (nécessairement une place importante). Travail de hiérarchisation si plusieurs problématiques
3° équilibre du devoir (répartition des masses).

 
Rédaction de l'introduction : l'arrêt étant bien maitrisé, les principales difficultés posées par l'arrêt ayant été identifiées, l'introduction peut alors être rédigée. Pas de trame type. Liberté du commentateur (en fonction aussi de l'arrêt). Néanmoins l'introduction ne peut être qu'une simple reproduction de la fiche d'arrêt.
Reprendre les éléments de la structure de l'arrêt + question de droit + intérêt du sujet + contextualisation.

 
Schématiquement :
1° Présentation de l'arrêt (thème abordé, contexte)
2° Faits
3° Demande, prétentions
4° Procédure (uniquement celle qui est apparente)
5° Question de droit
6° Réponse et motivation de la Cour (expliquée)
7° Annonce de plan

 
Ce qui est donc attendu :
1° commenter l'arrêt et ne pas se contenter de reprendre la motivation de la Cour
2° construire son commentaire à partir de l'arrêt

dimanche 4 mars 2012

Interrogation droit des obligations - Civ. 1ère, 14 octobre 1997, n° 95-21390

1° Evolution de la relation médicale :
- Elle n’est plus ce rapport paternaliste qui liait le médecin à son patient (cf. Serment d’Hippocrate). Transformation de la relation de confiance en un véritable lien contractuel. Implication de plus en plus grande du malade (recherche du consentement au soin, décision partagée).
- Médecine plus technique et plus performante, elle est le plus souvent une succession d’actes médicaux : mouvement d’hyperspécialisation.
- Médiatisation de certains scandales médicaux : affaire du sang contaminé, infections nosocomiales, hormones de croissance, dangers récents de l’utilisation de la chirurgie esthétique…

 
2° Evolution de la responsabilité médicale :
- Req, 18 juin 1835 : les fautes survenues à l’occasion d’un acte médical ont une nature délictuelle.
- Civ. 20 mai 1936 (arrêt Mercier) : « il se forme entre le médecin et son client ( !) un véritable contrat comportant pour le praticien l’engagement sinon bien évidemment de guérir le malade (…) du moins de lui donner des soins non pas quelconques (…) mais consciencieux attentifs et réserves faites de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science ».

 
3° Evolution de la prise en compte du défaut d’information dans l’acte médical :
Obligation d’information = La loi du 4 mars 2002 a crée un véritable droit à l’information du malade. Transparence de la part des praticiens sur l’état de santé du patient. Art. L 1111-2 : toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé.

En jurisprudence, on peut résumer les choses ainsi :
- Civ. 1ère, 14 octobre 1997 (arrêt commenté): l’obligation d’information apparait comme un pis-aller. Réparation détournée des conséquences d’un acte médical risqué. A défaut de reconnaitre une faute du praticien, indemnisation sur le fondement de l’obligation d’information.
- Civ. 1ère, 6 décembre 2007 : réparation sur le fondement de la perte de chance (si caractérisée in concreto). Pas de réparation du préjudice moral lié au défaut d’information
- Civ. 1ère, 3 juin 2010 : revirement de jurisprudence abondamment commenté. La responsabilité pour défaut d’information dans l’acte médicale indemnisé (!! et non la responsabilité médicale dans son ensemble…) ne relève plus de la responsabilité contractuelle mais de la responsabilité délictuelle (substitution de fondement). « Le non-respect du défaut d’information (…) cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice ».


4° Arrêt à commenter : pistes de réflexion et éléments de commentaire attendus
A la suite d'un accouchement difficile, un enfant né avec une paralysie du bras. L'accident est alors imputé à l'absence de médecin obstétricien lors de l'accouchement. La Cour d'appel ne l’entend pas ainsi, considérant en effet qu’aucune faute dans l'organisation des soins ne pouvait être reprochée à la clinique, et que par ailleurs la clinique n'était pas tenue de mettre à la disposition des patientes des obstétriciens en permanence en salle d'accouchement. Surtout, elle ajoutait que la clinique n'est pas non obligée de les avertir qu'elle ne dispose pas de ce service permanent dans la mesure où elle met à leur disposition une sage-femme qualifiée qui a pour mission d'appeler le médecin lors de l'accouchement. Censure de la Cour de cassation qui estime que la clinique liée par un contrat d’hospitalisation et de soins est tenue à l’égard de ses patients d’une obligation de renseignements concernant les prestations qu’elle est en mesure d’assurer.

Triple critique :

- Pb de qualification : obligation de renseignements qui est ici davantage un devoir de mise en garde. On s’éloigne en effet de l’obligation d’information classique qui consiste en 1° information préalable aux soins sur les risques encourus notamment : état de santé du patient + acte médical entrepris. Et 2° Information postérieure à la délivrance des soins qui permet au patient de connaitre sa situation de malade : façon dont les actes médicaux se sont déroulés, risques postopératoires.

- L’obligation d’informations constitue ici un moyen d’indemniser la victime, en l’absence de faute dans l’acte médical. A défaut de répondre favorablement au pourvoi dans le 1er moyen, la Cour de cassation le fait dans le second, en dégageant une obligation, au final, assez artificielle...

- Enfin, difficulté quant à l’établissement du lien de causalité. Ce dernier doit établir que la faute (en l’occurrence le défaut d’information) est à l’origine du handicap de l’enfant. Ici difficile de dire si Mme Y, informée des insuffisances du service d’accouchement, se serait rendue dans un autre établissement. Autrement dit, si le dommage était évitable. Indemnisation sur le fondement de la perte de chance uniquement. Cf. Arrêt Civ. 1ère, 6 décembre 2007 (à commenter à la maison), la Cour semble revenir sur sa position et dit :
o Pas de faute de la clinique. Douleurs fœtales faisant suite aux convulsions survenues après l’injection du liquide. Impossible de pratiquer une césarienne en raison de l’avancement du travail d’accouchement.
o La patiente a été renseignée sur place. Et en tout état de cause, même informée au moment de son arrivée de l’absence de médecin, elle n’aurait pu quitter la clinique (contractions depuis 1h30 + dilatation du col de 3 à 4 cm). La Cour reconnait implicitement que la patiente n’a peut être pas été informée à temps, mais que malgré tout, le dommage était inévitable…

Séance 4 droit des biens - Eléments de correction question 1

M. Martin rentre de vacances et découvre, avec étonnement, sur son emplacement de parking un box constitué de 4 cloisons et d’un toit en tôle.

Celui-ci demande la destruction de ce box sur sa propriété. Les apprentis bricoleurs refusent et menacent même de poursuivre M. Martin si celui-ci venait à détruire le box.

Le propriétaire d’un fonds peut-il se prévaloir de la propriété des constructions faites par un tiers sur son terrain, au besoin pour les détruire ?

Selon l’article 712 du Code civil, « la propriété s’acquiert aussi par accession ou incorporation et par prescription ». La théorie de l’accession immobilière confère au propriétaire sur le terrain duquel la construction a été faite la propriété.

Cette accession peut être naturelle ou artificielle (art. 546), c’est-à-dire réalisée par l’homme, sous forme de construction ou de plantation. En vertu de l’article 543 du Code civil, « Toutes constructions, plantations et ouvrages sur un terrain ou dans l'intérieur sont présumés faits par le propriétaire à ses frais et lui appartenir, si le contraire n'est prouvé … ».

En l’espèce, M. Martin bénéficie donc d’une double présomption : en cas d’accession artificielle, il est considéré comme propriétaire de la construction et cette dernière est présumée faite à ses frais.

Mise en œuvre de l’accession artificielle (555)

Il convient dans un premier temps d’établir le champ d’application dudit article cité. Cet article ne concerne que les constructions nouvelles à la différence des aménagements ou transformations existantes. D’autre part, il ne concerne que les ouvrages entièrement faits sur le terrain d’autrui et non les simples empiètements sur la propriété d’autrui (à noter que la jurisprudence est sévère sur ce point : « l’article 555 ne trouve pas son application lorsqu’un constructeur étend son ouvrage au-delà des limites de son héritage », CA Paris, 30 mars 1994). Enfin, il doit s’agir d’un tiers constructeur, autrement dit, une personne qui n’a aucun droit sur le sol.

En l’espèce, il s’agit d’une construction nouvelle sur le terrain d’autrui qui va bien au-delà d’un simple aménagement. En effet, la place de parking s’est transformée en box. Par ailleurs, l’ouvrage est entièrement réalisé sur le fonds de M.Martin et ne constitue donc pas un empiètement. Enfin, les « apprentis bâtisseurs » sont bien des tiers à la propriété.

L’article 555 trouve donc application, les 3 conditions de ce dernier étant remplies.

Selon l’article 555, soit le constructeur est de bonne foi et dans ce cas, le propriétaire ne peut pas se défaire de l’accession qui lui est imposée (il conservera la propriété des biens unis au fonds tout en dédommageant le tiers). S’il veut arracher ou détruire, ce sera à ses propres frais. En revanche, si le constructeur est de mauvaise foi, le propriétaire du sol dispose d’une option : soit conserver les constructions en indemnisant le tiers, soit en exiger la démolition aux frais du tiers, avec éventuellement des dommages-intérêts. Selon la 3ème chambre civile en date du 15 janvier 1971, est de mauvaise foi, au sens de l’article 555, celui qui construit sciemment sur un terrain qui ne lui appartient pas.

En l’espèce, les « apprentis bâtisseurs » ont procédé à la construction de ce box pendant les vacances au ski de M. Martin. On peut donc légitimement douter de leur bonne foi. Par ailleurs, il n’est fait aucune mention d’un quelconque titre translatif de propriété à leur égard.

La construction du box a donc été faite en toute mauvaise foi. M. Martin a ainsi la possibilité d’exercer le choix que lui offre l’article 555 devant un juge afin d’obtenir la destruction du box, ainsi que des dommages-intérêts éventuels. M. Martin ne doit donc pas s’inquiéter outre mesure des menaces proférées par ces bâtisseurs, mais devra néanmoins faire reconnaitre son droit à destruction, voire une éventuelle allocation de dommages-intérêts de façon judiciaire.

jeudi 1 mars 2012

Travail à faire droit des obligations

Civ 2ème, 12 juillet 2007 - commentaire entièrement redigé

Travail à faire droit des biens

- cas pratique 2

Cas d'abus du droit de propriété : Civ. 3ème, 15 février 2012, n° 10-22899

 Le propriétaire d'un fonds qui s'oppose à l'installation temporaire d'un échaffaudage pour la réfection de la toiture de son voisin, alors qu'aucun autre moyen ne peut être mis en oeuvre, commet un abus de son droit de propriété.

Sur le moyen unique :


Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 10 juin 2010) que se plaignant du refus de Mme X... de les autoriser à poser un échafaudage sur sa propriété pendant le temps nécessaire à la réalisation des travaux de réfection de la toiture de leur pavillon, les époux Y... ont assigné leur voisine pour obtenir l’autorisation d’y procéder ;

Attendu que Mme X... fait grief à l’arrêt d’accueillir cette demande, alors, selon le moyen :

1°/ qu’un propriétaire ne peut être tenu de souffrir le passage d’un voisin sur son fonds à l’effet de réaliser des travaux que pour autant que ceux-ci concernent une partie de l’immeuble du voisin qui serait autrement physiquement inaccessible, telle qu’un mur situé en limite de propriété ; qu’en revanche, le voisin ne dispose pas d’un “ tour d’échelle “ pour réaliser des travaux sur une partie de son immeuble qui n’est pas physiquement inaccessible depuis sa propriété ; qu’au cas d’espèce, en contraignant Mme X... à subir l’installation d’un échafaudage sur son fonds à l’effet de permettre à ses voisins M. et Mme Y... de procéder à des réparations sur le toit de leur maison, sans constater que cette partie de leur immeuble était physiquement inaccessible depuis leur propre fonds, les juges du fond n’ont pas donné de base légale à leur décision au regard de l’article 544 du code civil ;

2°/ que le bénéfice d’un “ tour d’échelle “, permettant à un propriétaire d’imposer au propriétaire voisin un passage voire une installation temporaire sur son fonds à l’effet de réaliser des travaux ne peut être accordé que pour autant qu’il s’agisse du seul moyen possible pour y parvenir ; qu’au cas d’espèce, en condamnant Mme X... à supporter l’installation d’un échafaudage sur son fonds pour permettre à ses voisins M. et Mme Y... de procéder à des réparations sur la toiture de leur maison, en retenant qu’il s’agissait du seul moyen possible pour y parvenir, excluant par principe le recours à d’autres moyens au motif que ceux-ci seraient trop onéreux, quand le coût des moyens alternatifs de réaliser les travaux était insuffisant à conclure qu’il s’agissait du seul moyen possible justifiant l’atteinte aux prérogatives du propriétaire, les juges du fond ont violé l’article 544 du code civil ;

Mais attendu qu’ayant constaté la nécessité de réaliser des travaux sur la toiture du pavillon des époux Y... du côté de la propriété de Mme X..., le refus du maire de la commune de voir installer une nacelle en vue d’effectuer ces travaux à partir de la voie publique, sans passage sur le fonds de Mme X... et le coût disproportionné de toute autre solution au regard de la valeur des travaux à effectuer, la cour d’appel, qui a souverainement retenu qu’il n’existait aucun autre moyen pour réaliser ces travaux que de passer sur le terrain de Mme X... et en a déduit que celle-ci ne pouvait, sous peine de commettre un abus de droit, s’opposer à l’installation d’un échafaudage en éventail ou sur pieds dans la propriété voisine pour une durée de trois semaines, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;